Ces deux vidéos virales ont-elles été tournées lors des explosions à Beyrouth ?

Ces deux vidéos ont-elles été tournées lors des explosions à Beyrouth ?

Dernière édition le 6 août 2020 à 0:22 - Relecture par Sarah Djerioui , correction par Anne Smadja , coordonné par Denis Verloes

C'est vrai

En bref

À la suite des deux explosions à Beyrouth le 4 août 2020, de nombreuses vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux. Journalistes Solidaires a vérifié deux d'entre elles, abondamment relayées.

Le mardi 4 août 2020, à 18h10 (heure locale, soit 17h10 en France métropolitaine), deux explosions secouent le port de Beyrouth et ses environs, au Liban. Des vidéos tournées supposément en direct abondent alors sur les réseaux sociaux. Nous avons identifié deux d'entre elles, pour les authentifier. Ces vidéos, très virales, ont été republiées en étant uploadées. Cela signifie qu'à chaque fois, les internautes ont téléchargé la vidéo puis l'ont publiée comme s'ils en étaient les auteurs.

La première vidéo que nous avons étudiée a notamment été publiée dans ce tweet, retweetée près de 270 fois et likée 484 fois.

La seconde vidéo est parue entre autres sur ce compte Twitter, retweetée 412 fois et likée 653 fois.

Où s’est déroulée précisément l’explosion ?

Avant toute analyse des images, il était primordial pour nous de localiser de la manière la plus précise possible la zone touchée. Aussi, nous avons cherché à identifier le bâtiment qui explose. Pour cela, nous avons épluché des médias nationaux libanais et français, afin de croiser plusieurs localisations. La majorité des articles donnaient la même position, c’est-à-dire un entrepôt se trouvant sur l’une des jetées du port de Beyrouth. Nous sommes donc partis de cette piste-là pour pouvoir identifier les alentours, et si possible, les raccorder aux environnements des deux vidéos.

**Une première vidéo au cœur de la déflagration **

La première vidéo, d’une durée de 20 secondes, est publiée sur Twitter à 18h19. La proximité physique de l’auteur avec le lieu de l'explosion nous interpelle. Il semble se trouver en hauteur, sur le toit d’un autre bâtiment, qui serait quasiment adjacent à celui qui explose, et il est d’ailleurs violemment soufflé lorsque la déflagration se produit. 

Sur ces images, nous repérons les particularités de l’environnement qui entoure son auteur, notamment le hauban qui se trouve sur le même toit que celui qui filme. 

Avec Google Maps Satellite, un zoom autour de l'entrepôt, où a eu lieu l’explosion, permet de distinguer un bâtiment adjacent ayant sur son toit un hauban de la même forme que celui identifié sur la vidéo. Ce bâtiment est séparé de ce dernier par une allée large de 23 mètres. Sa position correspond bien à l’angle de vue qu’a l’auteur sur sa vidéo.

Grâce à ces indices, nous pouvons avancer que l’auteur de ces images se trouvait sur le toit de ce bâtiment au moment de l’explosion, ce qui explique la violence avec laquelle il est soufflé.   Ces éléments permettent donc rapidement d’authentifier cette première vidéo. 

Une seconde vidéo plus douteuse

À 19h45, une seconde vidéo émerge sur les réseaux sociaux, à une vitesse de relais fulgurante. Elle semble avoir été prise d’une position plus éloignée que la première, elle laisse voir un bâtiment en feu en arrière-plan.

Toutefois, ayant réussi à localiser précisément l’explosion, plusieurs éléments nous semblent suspects dans l'environnement filmé et nous laissent penser que cette explosion n'est peut-être pas celle du 4 août 2020 à Beyrouth.

En effet, les énormes silos se trouvant juste à côté du bâtiment en feu ne sont pas visibles sur ces images. La grande étendue entourée d’un grillage située à la gauche de l’auteur sur la vidéo ne semble pas correspondre à la topographie du terrain de la jetée sur laquelle s’est produite la déflagration.

Pour tenter d’authentifier ces images, nous avons cherché, comme sur la première vidéo, à repérer des éléments distinctifs de l’environnement du caméraman pour tenter de les relier à une localisation sur les images satellite de Google Maps. 

Les ombres des objets fixes fournissent un premier indice. Effectivement, sur la vidéo, l’ombre du rocher, par exemple, est projetée et visible. Par déduction, le soleil se trouve donc forcément dans le dos de l’auteur des images qui, lui, est face au bâtiment qui prend feu.

Grâce à l’outil suncalc.org, nous sommes parvenus à déterminer la position exacte du soleil dans le ciel de Beyrouth le 4 août, à l’heure de l’explosion. Nous en avons conclu que si et seulement si ces images sont véridiques, alors l’auteur de la vidéo ne peut se trouver qu’à gauche de la zone d’explosion.

En se basant sur la disposition du port selon Google Maps, seulement deux localisations peuvent donc correspondre à cette prise de vue.

La première serait la même jetée que la zone d’explosion, à droite des silos. Cela impliquerait aussi de les voir sur la vidéo, ce qui n’est pas le cas. La seconde, une autre jetée, donc plus lointaine par rapport au lieu de l’explosion, et semble-t-il plus courte selon la carte de Suncalc. 



Sur les images de la vidéo douteuse, on identifie clairement la façade d’un bâtiment à la droite du caméraman. À la gauche de ce bâtiment, une vaste étendue est visible, entourée d’un grillage, avec quelques voitures.

Lorsque l’on utilise Google Street View, sur la jetée qui serait selon notre hypothèse le poste d’observation de l’auteur, on aperçoit un bâtiment, dont les dimensions et les détails de la façade semblent correspondre à celle de la vidéo que nous cherchons à vérifier. 

Nous cherchons alors à comparer les deux façades et des points communs apparaissent : le nombre de fenêtres de part et d’autres de l’entrée, les cinq «cases» au-dessus, les colonnes encadrant la porte d’entrée et le conduit se trouvant sur le toit du bâtiment d’à côté. 

Ce bâtiment, identifié sur Google Street View, est bien celui devant lequel se trouve le caméraman ayant tourné la vidéo au moment de l’explosion. Positionné de la sorte, il peut alors filmer l’explosion qui se trouve sur la jetée d’en face.

Quant aux silos se trouvant sur la jetée concernée par l’explosion, non apparents sur cette seconde vidéo, ils sont probablement cachés par l’important panache de fumée visible au début de la vidéo, résultant de l’incendie ayant provoqué l’explosion.

Enfin nous pouvons à partir de la vidéo comparer l’explosion elle-même aux images qui ont été diffusées a posteriori par la BBC.

Sur les deux séquences, on constate que la détonation se déroule en deux temps : 

  • Un dégagement de gaz aux couleurs dégradées d'ocre et de carmin.
  • Immédiatement après le dégagement, une onde de choc en forme de dôme marquée d'un pli caractéristique à l'ouest. Ceci permet de confirmer que ces images sont identiques aux autres enregistrées durant cet événement.

En bref :

À la suite des explosions mortelles qui ont frappé le port de Beyrouth au Liban, mardi 4 août, de nombreuses images ont circulé sur les réseaux sociaux. Deux vidéos particulièrement virales ont attiré notre attention. Après vérification, elles s’avèrent toutes les deux authentiques et ont bien été tournées à Beyrouth, le 4 août 2020, à l’heure du tragique incident. 

Pour aller plus loin

Après avoir authentifié les deux vidéos précédentes, l’équipe de Journalistes Solidaires a souhaité comprendre comment ces explosions ont été provoquées.

Dans un tweet publié le 4 août 2020 à 23h53 (heure libanaise), le bureau du Président libanais annonce que la substance responsable de ce drame est du nitrate d’ammonium. Plus exactement, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Un composé azoté utilisé notamment pour faire de l’engrais ou bien des explosifs. Cette annonce sera ensuite confirmée par le Premier ministre libanais Hasan Diab lors d’une conférence de presse.

**Alors comment se serait-il retrouvé dans le port de Beyrouth ? **

Nous sommes tombés au cours de nos recherches sur un article du site Internet Ship arrested, qui raconte comment, le 23 septembre 2013, le cargo moldave Rhosus parti de Baturni Port (Géorgie), avec le nitrate d’ammonium à son bord, s’est détourné de son cap initial, Biera (Mozambique), pour avarie technique, au moment où il passait au large du Liban. Il s’est donc rendu au port de Beyrouth où il s’est trouvé interdit d’appareiller à nouveau. Là, au vu des risques que courait le nitrate d’ammonium de s’enflammer s’il restait dans le cargo, les autorités du port ont décidé de le décharger et de le stocker dans l’un des entrepôts du port.



En fouillant dans les articles publiés à l’époque, nous avons trouvé cette photo. On y voit le nitrate d’ammonium, nommé «Nitroprill», emballé dans des sacs empilés en vrac dans un entrepôt. Pour être sûrs qu’il s’agissait bien de celui qui a explosé hier, nous avons de nouveau cherché des signes distinctifs sur l’image. C’est la tache rectangulaire blanche située sur la porte de gauche du bâtiment qui a retenu notre attention : on la retrouve en effet sur le bâtiment en feu dans la première vidéo analysée, qui explosera ensuite. C’est donc bien là qu’a été stocké le Nitroprill, le nitrate d’ammonium pouvant être à l’origine de l’explosion.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et vraie

Première apparition sur le web

Non renseigné

Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté

Non renseigné

Actions entreprises par les journalistes

Déroulé de la nuit d'enquête : 04/08/2020

  • 18h10 Heure locale de l'explosion (17h10 en France métropolitaine)
  • 18h19 La première vidéo analysée apparaît Analyse de la première vidéo
  • 19h45 Apparition de la seconde vidéo Analyse de la deuxième vidéo
  • 02h45 Conclusions à chaud de cette démarche "en direct". Il s'agit notamment d'une identification des lieux de prise de vue de chacune des vidéos.

05/08/2020 Décision d'en faire le compte-rendu dans un format pédagogique à l'usage des internautes : principe de l'utilisation rationnelle des réseaux sociaux pour vérifier une information.

Pistes et conclusions

Vérification de plusieurs contenus vidéo entre 18h10 et 02h45 signalés par leurs auteurs comme étant des témoignages des deux explosions qui ont soufflé Beyrouth le 04/08/2020. Postulats appliqués à chaque vidéo : est-elle plausible? Est-elle vraie? Applications des méthodes de vérification à distance des items présentés. Conclusion : les deux vidéos que nous avons choisi d'authentifier sont véridiques. Nous documentons la démarche pour faire œuvre de pédagogie sur le sujet.

Equipe Journalistes Solidaires

Cypriane El-Chami

Anne Smadja

Amaury Lesplingart

Jérôme Mégie

Tanguy Oudoire

Sarah Djerioui

© Journalistes Solidaires

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