Des camps d'internement pour les non vaccinés ?
Dernière édition le 21 janvier 2022 à 21:44 - Relecture par Anne Smadja , correction par Cypriane El-Chami , coordonné par Stephan Giumelli

C'est faux
En bref
Dans une vidéo à plus d'un million de vues publiée en mai 2021, l'ancien journaliste Pierre Barnérias, plus connu comme réalisateur du documentaire Hold-up, dénonce de «futurs camps d'internement pour les non vaccinés». Or, la réalité est tout autre.
«Pardonnez-moi pour ce ton colérique», peut-on l'entendre dire dès le début de la vidéo. Une fois n'est pas coutume, Pierre Barnérias, ancien journaliste de France TV, connu pour son documentaire polémique Hold-up, a de nouveau partagé son opinion quant à la gestion de la crise sanitaire, dans une vidéo réalisée et diffusée en mai dernier. Selon le réalisateur, afin de favoriser la vaccination, l'État français souhaiterait mettre en place des «camps d'internement pour les non vaccinés». Il s'appuie pour étayer cette thèse sur deux documents.
Le premier est un point épidémiologique du 1er avril 2021 publié par Santé publique France, et plus précisément, le tableau 10 effectuant le bilan des «décès certifiés par voie électronique avec une mention de Covid-19 dans les causes médicales de décès, de mars 2020 à mars 2021, en France (données au 30 mars 2021)». «Sur les 41 502 morts, il y en a 27 031 qui sont morts avec des comorbidités. Il y en a 14 000 qui sont morts uniquement du Covid-19 et on va forcer tout le monde à se faire vacciner en France», commente le réalisateur de Hold-up.
Les chiffres présentés sont corrects. Toutefois son analyse minimise l’importance du coronavirus comme facteur de décès. Au 1er avril 2021, il y a une plus grande part de décès liés à la présence de comorbidités, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'elles en sont les seules responsables. Selon le dictionnaire national de l’Académie de médecine, la «comorbidité» se caractérise par l’existence d’une maladie principale dite «primaire» ou «index» associée à de multiples et spécifiques conditions cliniques. Autrement dit, les 27 031 personnes recensées dans le tableau de Santé publique France sont mortes avec des comorbidités mais en premier lieu à cause du coronavirus.
Le second document est un avis du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale (COSV) rendu le 7 mai 2021. On entend ainsi l'ancien journaliste de télévision affirmer que «la vaccination sera obligatoire pour tous les cas contacts», mais aussi que pour «ceux qui ne voudront pas se faire vacciner, [il y aura une] quarantaine obligatoire forcée». Or, le rôle de ce Conseil est moins important que Pierre Barnérias ne le pense dans les décisions prises par l'exécutif.
Le Conseil d’orientation sur la vaccination : organisme consultatif du gouvernement
Depuis janvier 2021, le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale rend des avis et des recommandations de sa propre initiative ou à la suite d'une saisine du ministère des Solidarités et de la Santé. La charte du COSV, qui énumère son rôle et ses missions, précise que celui-ci «conseille le gouvernement sur les aspects scientifiques et médicaux de la conception et la mise en œuvre stratégique de la politique vaccinale». Le Conseil n’a qu’un rôle consultatif et le gouvernement n’est pas lié par les recommandations et les avis qu’il peut émettre, qui ne sont donc ni définitifs, ni obligatoires. Dans un avis du 4 mars 2021, le Conseil avait par exemple recommandé au gouvernement «d’ouvrir la vaccination à l’ensemble des personnes en situation de grande précarité». Cet avis n’avait pas été suivi d’effets car il n’avait pas été repris par le gouvernement. De la même manière, la stratégie de vaccination en anneau et la quarantaine «stricte et surveillée» qui pourrait l’accompagner ne sont que des mesures hypothétiques.
Qu'est-ce que «la vaccination en anneau» ?
Il s'agit d'une stratégie vaccinale visant à prodiguer une dose de vaccin à l'entourage de la personne contaminée, comme l'explique Sandrine Sarrazin, chargée de recherche Inserm au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy. «On va vacciner des cercles de populations autour de la personne infectée, dont un premier composé de sa famille, ses collègues de travail, de personnels soignants qui ont pris soin de cette personne et d'un second, composé quant à lui, des contacts de ces premières personnes.» Elle peut être utilisée en temps de pandémie à une condition. «Elle est intéressante à mettre en place au tout début de l'épidémie ou quand les foyers sont très localisés et qu'elle n'a pas encore gagné tout le territoire national voire mondial, ajoute la chercheuse. Elle a déjà été utilisé dans la deuxième moitié du XXe siècle pour éradiquer la variole, mais aussi de nos jours, notamment pour l'épidémie d'Ebola quand il y a de nouveau des foyers infectieux sur certains territoires.»
Néanmoins, aujourd'hui, cette stratégie vaccinale n'a plus grand intérêt, d'après elle : «En septembre 2021, ce n'est plus intéressant de mettre en œuvre cette stratégie-là. Sur beaucoup de territoires, en Europe et dans les pays qui ont eu la chance d'accéder à de grandes quantités de vaccin, la stratégie qui a été employée est celle de la vaccination de masse. De plus, il faut avoir une logistique très développée de contact tracking [identification des cas contacts, ndlr] et pouvoir les vacciner très vite. Maintenant, presque 80 % de la population en France est vaccinée donc il n'y a plus grand intérêt à cibler. Néanmoins, cela pourrait être intéressant sur d'autres territoires à l'échelle mondiale, comme en Nouvelle-Zélande où on peut repérer des foyers infectieux.»
Des camps d’internement au Canada ?
L’articulation principale de l’argumentaire de Pierre Barnérias est l’association de la mention «quarantaine stricte et surveillée» à ce qu’il nomme des «camps d’internement» au Canada. Le document (l'avis du COSV du 7 mai 2021) qu’il brandit dans la vidéo est pour lui une preuve que la France veut mettre en place un dispositif similaire : «Nous avions évoqué des camps d’internement au Canada dans le documentaire Hold-up. Là, ça y est, c’est pour nous, "Welcome !". Ceux qui ne veulent pas se faire vacciner, c’est quarantaine obligatoire !», s’exclame Pierre Barnérias.
S’agissant du Canada, il n’y a jamais eu de «camp d’internement», mais des hôtels de quarantaine. Depuis mars 2020, le pays applique un contrôle des frontières strict. «Préparez vos plans de quarantaine avant votre arrivée», préviennent les autorités canadiennes sur le site voyage.gc.ca. Autrement dit, les voyageurs doivent, dès leur arrivée sur le territoire canadien, effectuer une quarantaine de quatorze jours. S'ils ne disposent pas d'un lieu pour s'isoler, ils sont «dirigés vers une installation de quarantaine fédérale désignée».
Une solution de dernier recours comme l’explique le ministère de la Santé canadien dans un tweet daté du 21 octobre 2020 qui répondait également à une polémique lancée le 7 octobre 2020 par un député indépendant de l’Ontario, Randy Hillier, lors d’une séance de questions au gouvernement de la Province.
Ce député canadien avait demandé si les sites de quarantaine allaient être transformés en «camps d’internement». Ce à quoi il avait ajouté le 9 octobre : «Votre gouvernement doit être au courant de ces plans pour potentiellement construire des camps d’isolation de la côte est à la côte ouest. Combien de ces camps seront construits et combien de personnes seront détenues ?» Douze jours plus tard, plusieurs membres du gouvernement fédéral s’exprimaient afin de nier en bloc ces allégations et réaffirmer l’usage de ces sites pour les voyageurs et les voyageuses étrangers : un séjour de quatorze jours en quarantaine pour les personnes n’ayant pas prévu de lieu pour cela. Le gouvernement canadien prévoyait la construction de nouveaux sites pour anticiper d’éventuels assouplissements des restrictions de voyage, qui auraient pour conséquence une augmentation du nombre de voyageurs et voyageuses, comme le rapporte Radio Canada International dans l'un de ses articles.
Une aide à l'isolement proposée par les préfets
Encore aujourd'hui, à la mi-novembre, en France, comme il est mentionné sur le site internet du ministère des Solidarités et de la Santé, l'isolement concerne uniquement les personnes se situant dans l'un des trois cas de figure suivant : «Dès l’apparition des premiers symptômes de la Covid-19, lorsqu’on a été testé positif à la Covid-19 et qu’on n’a pas de symptômes, lorsqu’on est cas contact d’une personne positive à la Covid-19 et non vaccinée». Une quarantaine de plusieurs jours qui, toujours selon le ministère des Solidarités et de la Santé, «doit être réalisée chez soi». Néanmoins, «dans quelques cas particuliers, il est possible d’effectuer sa période d’isolement à l’hôtel ou dans un lieu d’hébergement collectif adapté».
Depuis un décret du 16 octobre 2020 (modifié et remplacé à plusieurs reprises depuis), les préfets sont habilités à prononcer des mesures de mise en quarantaine ou d’isolement à l’égard des personnes revenant de l’étranger (notamment celles présentant des symptômes du Covid-19, n'ayant pas réalisé de test avant leur arrivée, revenant d’une zone confrontée «à une circulation particulièrement active de l’épidémie», ou arrivant en outre-mer depuis le reste du territoire national) ou à toutes les personnes n'ayant pas de lieu d'hébergement adéquat. Pour autant, le lieu d’isolement reste au choix de la personne concernée.
Un camp «Covid» a-t-il vu le jour dans les Landes cet été ?
Pierre Barnérias n’est pas le seul à véhiculer l’idée que des «camps» seraient prévus pour contraindre des personnes positives au Covid-19 ou des cas contacts à s’isoler. Dans une vidéo postée le 26 juillet dernier (et visionnée plus de 32 000 fois sur le site internet laminutedericardo.com), Richard Boutry, ancien journaliste à France Télévision, sous-entendait avoir découvert à Oeyreluy (dans les Landes), le «premier camp Covid de France» au sein du lycée agricole Hector Serres : «La situation est absolument tragique. C'est ici que l'on prend un certain nombre de jeunes qui sont cas contacts, qui sont positifs et que l'on place ici dans les centres de cet établissement agricole reconverti pour l'occasion en une sorte de prison dorée», s’insurge-t-il au début de la vidéo.
Toutefois, la réalité était différente. Dans un communiqué de presse paru le lendemain, la préfecture des Landes, en charge des lieux avec le concours de la Croix-Rouge, dément cette rumeur. Le lycée agricole a bien été réquisitionné, non pas pour contraindre, mais pour proposer «une solution matérielle d’isolement aux personnes qui en seraient démunies». Seules «les personnes majeures y sont accueillies sur la base exclusive du volontariat. Si des mineurs devaient être accueillis, ils ne le seraient qu’à la demande et en présence permanente de leurs responsables légaux.» Toujours selon la préfecture, le centre a été fermé le 23 août dernier.
Ainsi, la quarantaine obligatoire et surveillée est loin d’être systématique en France et n’est réservée qu’à une catégorie bien spécifique de personnes. Cette période d'isolement n'est pas réalisée dans des camps, mais à domicile ou, quand le besoin s'en fait sentir, dans des établissements réquisitionnés par les préfets. On est donc bien loin du placement automatique en quarantaine pour les personnes non vaccinées que semble dénoncer le réalisateur de Hold-up dans sa vidéo.
En bref
En mai dernier, Pierre Barnérias, réalisateur du documentaire controversé Hold-up, publiait une nouvelle vidéo sur les réseaux sociaux comprenant un «coup de gueule» contre la mise en place supposée de «futurs camps d'internement pour les personnes non vaccinées». Or, si le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale (COSV) a été sollicité sur une telle stratégie d'isolement dans le cadre d'une vaccination en anneau, cet avis uniquement consultatif n'a pas été traduit dans les faits. À l'heure actuelle, les dispositifs en place au Canada ou en France n'intègrent aucun isolement contraint, mais une mise à disposition de lieux pour les personnes souhaitant y faire leur quarantaine de manière volontaire.
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et fausse
Première apparition sur le web
24 May 2021
Dernière modification de la fiche de l'enquête
26 janvier 2022 à 17:00
Lieu de publication constaté
Actions entreprises par les journalistes
[x] Retrouver les documents montrés dans la vidéo [x] Chercher des infos sur les "camps d'internement" au Canada dont Barnerias parle dans la vidéo [x] Relire les docs et vérifier les éléments -> dans quelle cadre doit-on faire une quarantaine? : à la maison, dans un établissement? Quels détails sur cette stratégie de quarantaine? [x] Trouver un spécialiste (issu du conseil d'orientation?), épidémiologiste, qui serait en mesure d'expliquer l'idée derrière la vaccination en anneau. [ ] Éventuellement décrypter la vidéo sous l'angle des biais cognitifs pour expliquer lesquels il utilise
Pistes et conclusions
Pierre Barnérias dit que la France va mettre en place des camps d'internement pour les personnes non-vaccinées en s'appuyant sur un avis du Conseil d'Orientation de la Stratégie Vaccinale sur la stratégie de vaccination en anneaux. Ce qu'oublie de dire P. Barnérias, c'est que cet organisme n'est que consultatif (aucun pouvoir de décision) et que l'information procurée au gouvernement ne se traduit pas automatiquement en acte. On ne peut donc pas affirmer que c'est ce qui sera fait.