Des députés ont-ils vanté l’homéopathie pour soigner le Covid-19 ?
Dernière édition le 2 juin 2021 à 15:16 - Relecture par Claire Guérou , correction par Anne Smadja , coordonné par Denis Verloes

C'est à nuancer
En bref
Le 7 avril 2020, deux députés signent une tribune pour promouvoir les recherches sur l'homéopathie comme complément à la médecine dite «allopathique». Mais leur défense de cette médecine alternative n'a aucun lien avec la crise du Covid-19.
Nombre de traitements ont été envisagés pour contrer le Sars-CoV-2. Mais pour le moment, aucun n’a pu montrer une efficacité déterminante pour stopper les symptômes du Covid-19. Ce «champ des possibles» thérapeutique a laissé de l'espace à l'imagination de traitements au fondement non scientifiquement démontré, notamment l’homéopathie. À ce jour, cette solution n’a toutefois pas été validée comme une ressource capable de requinquer un malade du Covid-19.
Pourtant, au mois d’avril 2020, une tribune publiée sur le site femininbio.com, signée de la main de deux députés en faveur de l’homéopathie, a pu instiller le doute chez certains internautes. Pour bien comprendre la nature et la portée de cette prise de parole d'élus de la nation, Journalistes Solidaires revient sur la chronologie et le déroulé des faits jusqu'à la publication de cette tribune, en pleine première vague de la pandémie dans l'Hexagone.
La position politique
En 2019, à l’Assemblée nationale, deux députés décident, ensemble, de s’intéresser au sujet de l’homéopathie. D’un côté, il y a Paul Molac, député du Morbihan (groupe Libertés et territoires) ; de l’autre, Yves Daniel, qui siège en tant que député de Loire-Atlantique (La République en marche). Contacté par Journalistes Solidaires, ce dernier raconte les prémisses de cette tribune.
À l’initiative de Paul Molac, les deux élus souhaitent sensibiliser la population aux bénéfices de l'homéopathie comme traitement médical alternatif.
«Nous utilisions tous les deux l’homéopathie dans notre vie personnelle. Pour ma part, je connaissais son usage sur les animaux dans les élevages [Yves Daniel est agriculteur retraité, ndlr]. Mais finalement, qu’il s’agisse des citoyens ou des éleveurs, l'intérêt pour l'homéopathie est le même. La problématique de Paul Molac faisait écho à mes convictions.»
En novembre 2019, les deux politiques émettent le postulat que l’homéopathie peut dépasser certaines limites des traitements conventionnels issus de la médecine traditionnelle, dite «allopathique». Ils se décident à donner voix à leur conviction le 28 novembre 2019 à la suite d'un colloque organisé sur le sujet à l'Assemblée nationale. Les premiers cas officiels de Covid-19 ne sont alors pas encore déclarés, ni en Chine, ni en France. Leur démarche survient, de fait, quelques mois après la décision de déremboursement de l’homéopathie par la Sécurité sociale. Yves Daniel confirme :
«En réalité, la discussion entre les parlementaires ne date pas uniquement de cette tribune et donc n’est pas liée au Covid-19. Au 1er janvier 2020, le remboursement de l’homéopathie devait passer de 30 à 15 %. Puis en 2021, nous allions passer à un déremboursement complet. S’ajoute à cela la fin des formations à l’homéopathie, décidée par le gouvernement. Nous trouvions cela scandaleux. Nous avons décidé d’agir car nous avions l’impression de supprimer toute reconnaissance envers ce domaine.» Les deux députés décident donc d'écrire la tribune, qui sera publiée en avril 2020, soit en pleine crise sanitaire liée à la première vague de Covid-19. C'est la concomitance de cette prise de parole avec le pic épidémique qui a poussé des internautes**_ _**à contacter Journalistes Solidaires, interprétant à tort l'opinion des deux élus comme étant une proposition de l'homéopathie en tant que traitement unique d'une maladie sans remède connu. Dans les lignes de la tribune pourtant, aucun remède miraculeux homéopathique n’est proposé en thérapie contre le Sars-CoV-2. C'est le hasard calendaire de la publication qui donne cette impression.
Yves Daniel se défend d'ailleurs de toute ambiguïté en la matière, et précise sa pensée concernant l'homéopathie et la recherche en général :
«C’est écrit noir sur blanc, nous ne résoudrons rien avec de l’homéopathie seule, l’idée est réellement de repartir de nos expériences entre la médecine vétérinaire et humaine pour soutenir la recherche.»
Selon le duo de politiciens, cette tribune n’avait pas pour but de donner à penser que l'homéopathie pourrait soigner le Covid-19. À en croire Yves Daniel, elle n'avait pas non plus pour objectif de vouloir bouleverser les lois déjà votées sur le déremboursement de l’homéopathie. Elle devait en revanche amener une prise de conscience sur l’importance de cette médecine alternative dans les périodes où la médecine traditionnelle démontre ses limites :
_«Le but est avant tout de replacer l’homéopathie dans ce qu’elle doit être, c’est-à-dire un complément. Elle n'est pas uniquement un moyen de traitement, elle sert aussi à éviter les effets secondaires liés à l’allopathie. Nous voulons réellement sensibiliser à l’intérêt de complémentarité pour le renforcement immunitaire et pour lutter contre les effets indésirables de l’allopathie. A contrario, c’est aussi un risque d’utiliser l’homéopathie, sans utiliser du tout d’allopathie. » _
Pour la suite à donner à cette tribune, le groupe de travail mené par les deux députés prévoit cependant le recours à des outils législatifs qui doivent permettre de retrouver un équilibre dans la prise en charge de chaque type de médecine**_, notamment dans le cadre du plan de financement de la Sécurité sociale dont le vote du budget 2021 est en cours de bouclage au Parlement (PLFSS 2021). Par le biais de cette tribune, les élus semblent donc quand même bien défendre le remboursement de l'homéopathie. Par conséquent, leur démarche se nourrit peut-être d'une conviction sincère, mais elle questionne néanmoins du fait de leurs liens avec des médecins homéopathes, qui auraient très largement soutenu l'initiative. De même, la tribune interroge par le timing de sa parution : elle n'avait _**pas pour but de proposer l'homéopathie comme remède anti-Covid-19, ce que le moment de sa publication a pourtant laissé croire.
Une tribune soutenue par les homéopathes
Dans l’élaboration de cette tribune en ligne, les deux députés ne sont en effet pas seuls. Ils invitent également des médecins homéopathes, en vue, disent-ils, d'y apporter une expertise médicale, notamment, celle du docteur Daniel Scimeca, contacté par la rédaction de Journalistes Solidaires.
Selon ce médecin défenseur de l'homéopathie, le déremboursement des traitements homéopathiques aurait deux conséquences principales pour la population française. Dans un premier temps, cette mesure aurait un impact sur le plan économique des familles. Pour lui, dérembourser ce type de médicament réduit mathématiquement le segment de la population qui peut encore se l'offrir. L'autre partie de la population serait alors, de fait, privée de ses bénéfices présumés.
Le second inconvénient que Daniel Scimeca met en exergue, concerne la prise excessive de médicaments allopathiques, qui peut avoir un effet néfaste sur la santé. «Ce qui se passe aux États-Unis avec la codéine, avec tous les antalgiques majeurs, nous n’avons pas envie que la France s’y dirige. Il y a un risque très clair en terme de mésusages», confie-t-il. Et d'ajouter : «L’acupuncture et l’homéopathie peuvent permettre de ne pas se nourrir à outrance d’anti-inflammatoires et de paracétamol. C’est peut-être mieux pour nous.»
Comme les auteurs de la tribune, Daniel Scimeca se montre prudent et tient à insister sur le fait qu'il n'y a en aucun cas un traitement homéopathique efficace et reconnu contre le Covid-19. Toutefois, elle pourrait, selon lui, en réduire certains symptômes :
«Quelqu’un qui a le Covid-19 et qui souffre de maux de tête se soigne soit avec du paracétamol, soit avec de l’homéopathie, selon ses exigences. Dans les deux cas, nous savons bien que ça ne soigne pas, nous améliorons juste les symptômes.» Dans le cadre de l'épidémie de coronavirus, l'homéopathie contribue, selon le médecin, à rendre les effets corporels plus supportables pour le malade.
L’homéopathie et les médecines alternatives : un générateur de débats
On le voit, les acteurs de ce concours de circonstances sont persuadés du bénéfice additionnel de l'homéopathie par rapport à la médecine traditionnelle qu'elle viendrait complémenter, ou dont elle gommerait les excès médicamenteux. Afin de donner un contrepoint à cette conviction, Journalistes Solidaires a interrogé le collectif FakeMed. Ce collectif de médecins et d'infirmiers s'est fait connaître en 2018 pour son caractère pourfendeur des «fausses médecines», qui a fait d'eux la bête noire des laboratoires d'homéopathie et des praticiens qui y recourent.
Selon le président de FakeMed, le docteur Cyril Vidal, cette tribune est un pêle-mêle d’informations erronées, notamment en ce qui concerne l’efficacité présumée de l’homéopathie dans la prévention face au virus. «Premièrement, donner au patient un médicament supplémentaire, c'est le perdre dans toutes les prescriptions qu'il reçoit. Deuxièmement, cela risque de donner du crédit à un produit qui est absolument inefficace. Et troisièmement, cela apporterait un espoir infondé au patient, qui pensera suivre un traitement efficace. Cette pratique n'a plus aucun intérêt», explique le Docteur Cyril Vidal à la rédaction de Journalistes Solidaires.
Selon lui, ce type de traitement ne permet pas non plus de booster le système immunitaire. En revanche, il est d'accord avec ses confrères sur un point : pour rester en bonne santé, il est important d'avoir une bonne hygiène de vie, notamment en ayant une alimentation saine.
Depuis longtemps, l’homéopathie représente un sujet de discorde entre médecine alternative et traditionnelle. À ce jour, aucun traitement homéopathique n’est reconnu contre le Covid-19.
Les homéopathes et le collectif FakeMed : une opposition de longue date
Il est important de préciser que cette opposition idéologique entre les homéopathes et le collectif ne date pas de l'épidémie de Covid-19. Elle a débuté lors de la publication d’une autre tribune, en mars 2018, dans les colonnes du Figaro, signée par 124 professionnels, contre l’homéopathie et les autres médecines alternatives. Au fil des mois, le débat a pris une telle ampleur que la Haute autorité de santé a dû trancher. L'institution a finalement penché en faveur du déremboursement progressif de l’homéopathie, faute d'études scientifiques validées permettant de démontrer son efficacité.
À noter : Ce débat va par ailleurs au-delà de l'opposition à la seule médecine dite homéopathique. En effet, le collectif FakeMed a aussi pointé le danger impliqué par ces pratiques de «médecine alternative», de l'acupuncture à l'osthéopathie, au cours de manipulations hasardeuses ou parce qu'elles occasionnent des retards de diagnostic et de prise en charge de pathologies graves. FakeMed a aussi expliqué que dans le cadre de l’aromathérapie ou de la phytothérapie, l'exposition à une concentration trop importante de substances actives pouvait avoir des conséquences sanitaires graves pour le patient.
En bref
Cette tribune, cosignée par les députés Paul Molac et Yves Daniel et publiée en avril 2020 défend bien l’homéopathie, mais son objectif n’est pas, comme l’indique le titre de l’article Femina, de la promouvoir comme «traitement contre le Covid-19». Selon les auteurs, ce texte serait surtout, en réaction au déremboursement de la pratique, initié par le gouvernement, un manifeste pour les mérites de l’homéopathie comme complément des médecines standards, notamment en période de pandémie.
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et à nuancer
Première apparition sur le web
Non renseigné
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Non renseigné
Actions entreprises par les journalistes
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29 avril - Nous relevons dans la tribune signalée deux points qui méritent vérification
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30 avril - Nous concentrons nos efforts sur l'angle du rapport entre l'homéopathie et la grippe espagnole de 1918 sur la base d'une liste.
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Mai - Nous interrogeons Paul Molac sur les buts recherchés par sa signature de la tribune. Mais son témoignage ne suffit pas.
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Juin 2020 - Nous cherchons à obtenir un entretien avec Yves Daniel s'agissant de ses motivations.
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Juin 2020 - Nous décidons d'entrer en contact avec les médecins homéopathes cosignataires de la tribunes, et nous décidons de donner en contrepoint l'avis de médecins "allopathes".
Le cabinet d'un des députés nous propose une rencontre, à fixer fin juin.
Le bureau presse de l'Assemblée Nationale nous confirme que ce texte fait office de tribune et n'a pour le moment aucun poids sur les discussions à l'hémicycle.
- Juillet 2020 - Nous reprenons contact avec Yves Daniel, un des députés. Nous sommes, à ce jour, toujours en attente de ses réponses.
- Une interview est programmée avec Yves Daniel le vendredi 14 août.
- Septembre 2020 : Nous prenons contact avec les deux homéopathes cités dans la tribune.
- Octobre 2020 : Nous prenons contact avec le collectif FakeMed.
Pistes et conclusions
En juin 2019, la HAS (Haute Autorité de Santé) rendait un rapport défavorable au remboursement de l'homéopathie par la sécurité sociale ayant entraîné depuis la mise en application effective de cette recommandation. Le rapport conclut notamment à "l’absence de démonstration d’efficacité (en termes de morbidité et/ou de qualité de vie) des médicaments homéopathiques dans les affections/symptômes pour lesquels des données ont été retrouvées dans la littérature".
Pourquoi deux députés apposent-ils leur signature à une tribune demandant : "que dans ce cadre [l'investissement de recherches] soit menées des études cliniques permettant d’affirmer ou infirmer l’intérêt réel de l’homéopathie en complément de l’allopathie." Le tout dans un contexte général de déremboursement faute de preuves d'efficacité et de recherches scientifiques autour du traitement contre le coronavirus.