Avec le confinement et l'interdiction d'accès aux plages, les gendarmes survolent les côtes françaises à bord de leur hélicoptère. Le but : tenter de repérer les plagistes indisciplinés.

Des hélicoptères sur les plages pour faire respecter le confinement ?

Dernière édition le 21 mai 2020 à 18:41 - Relecture par Nelly Pailleux , correction par Anne Smadja , coordonné par Denis Verloes

C'est vrai

En bref

Le 4 mai 2020, sur la page Facebook «Cerveaux non disponibles», une publication relaie la vidéo d'un hélicoptère en vol stationnaire interpellant un promeneur sur la plage. Ces images entendent dénoncer une surveillance inutile et inquiétante, de type «répressif».

Avec plus de 10 000 mentions «j’aime» et 5 000 commentaires à l'heure d'écriture de cet article, le post entend pointer du doigt un «délire répressif totalement absurde et flippant» de la gendarmerie.

«Toute cette pollution et cet argent pour une personne sur une plage déserte. La France a vraiment un incroyable talent...», peut-on lire sur la publication du groupe Facebook.

Contacté par Journalistes Solidaires, le Sirpa Gendarmerie (Service d’informations et de relations publiques des armées) confirme que l’hélicoptère correspond bien à un aéronef de la Gendarmerie nationale. Selon son représentant, le commandant et chef d'escadron Olivier Burles, la mesure est avant tout liée au contexte actuel de crise sanitaire pouvant demander le déploiement de moyens aériens. 

Sur la question de la localisation, plusieurs articles de presse avaient mentionné la Bretagne comme théâtre d'interventions en hélicoptère de gendarmerie. Or nos contacts en gendarmerie infirment cette possibilité.

Aussi, les plages de sable fin, les constructions en bord de plage peuvent faire penser à celles du littoral Languedoc. Postulat confirmé par l'Office de tourisme de la Grande-Motte (Hérault), selon lequel cette plage pourrait se situer entre la station balnéaire précédemment citée et Sète, notamment.

Faire respecter le confinement

Pour rappel, dès le début du confinement, les plages françaises ont bien été fermées en respect des mesures de restriction de déplacement, et ce sur l’ensemble du territoire. 

«La surveillance de plusieurs centaines de kilomètres de littoral justifiait le recours à ce moyen. Le respect des mesures de confinement nécessite des moyens humains et matériels (terrestres, nautiques, aériens)», insiste le commandant Burles.

Outre le respect du confinement, la Gendarmerie nationale indique que cette mise en œuvre répond aux cas où les moyens terrestres ne suffisent plus. «Ces missions ont bien été réalisées pour s'assurer du bon respect du confinement sur le littoral et dans les zones difficiles d'accès faisant l'objet d'une interdiction de circulation», souligne le chef d'escadron.

Restriction des heures de vol

Sur la publication, de nombreux internautes se questionnent sur l’utilité d’une telle mesure, qui pourrait être un coût financier pour le ministère de l’Intérieur (dont dépend la Gendarmerie). Si Olivier Burles reste prudent sur les commentaires en réponse à ces remarques, il insiste : «La mobilisation de l'ensemble des acteurs a permis de faire appliquer les** restrictions d'accès** et limiter ainsi les risques de propagation de la pandémie.»

La Gendarmerie nationale cherche à réduire ses coûts

Selon le magazine spécialisé du secteur, L’essor, la Gendarmerie nationale prévoyait de diminuer de 1 300 heures les déplacements pour ses 56 hélicoptères afin de réduire les coûts. En janvier 2020, les Forces aériennes de la Gendarmerie nationale avaient annoncé passer de 19 300 heures de vols à 18 000.

Alors que le confinement a été levé depuis le lundi 11 mai, les hélicoptères vont-ils continuer à tourner aux abords des plages françaises ? Pour le moment, non, confirme le Sirpa Gendarmerie. «Cette surveillance du littoral était rendue nécessaire par le confinement, elle n'a vocation à se poursuivre qu'en cas de nécessité opérationnelle particulière», conclut notre interlocuteur. 

En résumé :

En réalité, la vidéo Facebook d'origine ne montre pas un cas isolé : les opérations par hélicoptère pour faire respecter le confinement sur les plages françaises sont fréquentes. Néanmoins, le déconfinement va entraîner la réduction de ce type de pratique dans les airs.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et vraie

Première apparition sur le web
04 May 2020
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Facebook
Actions entreprises par les journalistes

7 mai

  • Premières pistes d'actions à entreprendre pour débuter notre travail évoquées en conférence de rédaction (où la vidéo a été prise, quand)
  • Nous lisons l'ensemble des commentaires de la publication Facebook pour tenter de repérer la commune où se trouve la plage de la vidéo : nous ne trouvons pas de trace d'une mention précise.
  • Nous prenons connaissance de nombreux articles sur le même sujet, sur diverses communes de France. La vidéo Facebook ne fait pas état d'un cas isolé, bien au contraire.
  • Un de ces articles (Le Télégramme) cite explicitement une source : le capitaine Poisson, de la gendarmerie de la presqu'île de Crozon (Bretagne), où ont été pratiquées des interventions par hélicoptère.
  • Nous décidons de le contacter pour notamment lui demander : quand des patrouilles sont ainsi menées, le vol est-il commandé par un contrevenant ou s'agit-il d'une mission prévue dans le cadre d'intervention afin de faire respecter le confinement ? 9 mai
  • La gendarmerie de Crozon nous renvoie vers celle de Chateaulin, afin de pouvoir joindre le Capitaine Poisson. 11 mai
  • La Gendarmerie de Chateaulin nous apprend que la scène de l'hélicoptère dont nous cherchons le lieu d'origine ne correspond pas à leur secteur d'intervention. Ils supposent que cette scène se serait davantage déroulée dans le sud.
  • Dans le doute, nous envisageons de contacter le journaliste ayant écrit l'article du _Télégramme _et de trouver comment se déroulent les interpellations sur les plages dans le sud de la France.
  • Dans le même objectif, nous envisageons de contacter le Groupement des formations aériennes de gendarmerie Ouest (comprenant les Détachement aérien de la gendarmerie de Rennes et le Détachement aérien de la Gendarmerie de Saint-Nazaire), notamment l'adjudant Constantin (pilote de l'engin envoyé à Crozon). Objectif : savoir s'il peut identifier le lieu de la vidéo source, savoir si lui avait déjà fait des vols de la sorte.
  • Faute de contact précis vers le Détachement aérien de la gendarmerie de Rennes, nous appelons la gendarmerie d'Ille-et-Vilaine dans un premier temps, pour tenter de remonter la piste.
  • Nous chercherons aussi à joindre un responsable de l'un des différents escadrons de gendarmerie affectés à la surveillance des plages en contactant la gendarmerie de Rennes. 12 mai
  • Nous envoyons un mail à la gendarmerie de Rennes qui s'emploie à relayer nos questions à la structure appropriée. Nous en attendons un retour.
  • Nous contactons le Bureau média du ministère de l'Intérieur. 13 mai
  • Mail envoyé à toutes les gendarmeries du littoral et relance auprès du Commandant Burles (Gendarmerie Nationale)
  • Suite à l'appel passé auprès de la la gendarmerie de Vannes, nous entrons en contact avec l'officier de communication en charge de tout ce qui relève du Covid-19 au niveau Bretagne. Elle nous renvoie vers le service de communication nationale basé à Paris, avec qui nous sommes déjà en contact.
  • Nous contactons également le commandant Patrice Poisson et le commandant Jean-Bernard Ferrere. 14 mai
  • Nous décidons de réaliser une vidéo pour accompagner notre futur article.
  • En parcourant Twitter, nous tombons sur des publications évoquant des plages du Sud (Antibes), accompagnées d'images qui se rapprochent de ce qu'on peut voir sur la vidéo initiale dont nous cherchons à identifier le lieu.
  • Nous faisons donc l'hypothèse que notre vidéo initiale aurait été tournée sur une plage du sud, ce à quoi nous tentons d'y faire correspondre certaines villes, comme Palavas les plages, par exemple.
  • De ce fait, nous décidons de contacter la Préfecture de l'Hérault et celle de Palavas. Nous envoyons finalement un mail à l'Office du tourisme de la ville.
  • Nous recevons vite une réponse : selon l'Office du tourisme de Palavas, il ne s'agirait pas d'une de ses plages (ceci dû à la présence de massifs de fleurs particuliers notamment). Il nous indique cependant un autre lieu possible : du côté de la ville de Carnon, station balnéaire de l'Hérault.
  • En conférence de rédaction, nous faisons état de notre avancement et proposons à ce qu'on aille bien jusqu’à identifier la plage de la vidéo : décision validée par l'ensemble de la rédaction.
  • Nous prévoyons de commencer la rédaction de l'article la semaine prochaine. 15 mai
  • La l'Office de tourisme de Palavas nous affirme que'il ne s'agit pas d'une des plages de la ville, nous continuons de contacter d'autres gendarmeries dont les champs 'action se trouvent dans le même secteur.
  • Nous appelons d'abord le Détachement Hélicoptère de la Gendarmerie de Carnon (Mauguio). Le numéro étant réservé aux appels d'urgences, l'officier au bout du fil n'ai "pas autorisé à nous répondre". Il nous conseille de contacter le service presse du Groupement de gendarmerie de l'Hérault, service communication de la gendarmerie de Montpellier.
  • Ce dernier nous indique ne pas avoir connaissance de l'intervention dont nous cherchons le lieu, et nous dirige vers la SIRPA une nouvelle fois.
Pistes et conclusions

Après avoir pris connaissance de nombreux articles de presse faisant état de divers autres exemples d’hélicoptères surveillant et interpellant les baigneurs partout en France, nous en concluons que cette vidéo ne montre pas un cas isolé.

Nous réanglons notre article en ce sens : "Sortir un hélicoptère pour surveiller une plage pendant le confinement : une mesure locale ou simple hasard ?" Avec l'angle sous-jacent suivant : "Mais quel est l'intérêt de sortir un hélicoptère pour une seule personne ?"

Selon la gendarmerie de Chateaulin (Finistère), trouvée grâce à des articles de presse, la vidéo remontée par les internautes ne se réfère pas à leur secteur.

Selon le commandant Burles, Chef d'escadron : « Il s'agit bien d'un aéronef de la gendarmerie nationale à l'image. Des missions aériennes ont bien été réalisées début mars pour s'assurer du bon respect du confinement sur le littoral et dans les zones difficiles d'accès faisant l'objet d'une interdiction de circulation. Les enjeux de santé publique ont nécessité l'emploi ponctuel des moyens aériens. La surveillance de plusieurs centaines de kilomètres de littoral justifiait le recours à ce moyen. Le respect des mesures de confinement nécessite des moyens humains et matériels (terrestres, nautiques, aériens). Il ne nous appartient pas de commenter les coûts induits pour cette mission. Nous ne le faisons pas davantage pour nos engagements quotidiens pour sauver des vies sur la route, en montagne ou en mer. La mobilisation de l'ensemble des acteurs a permis de faire appliquer les restrictions d'accès et limiter ainsi les risques de propagation de la pandémie. Malheureusement, nous ne pouvons pas localiser précisément la plage où cette action s'est déroulée. Cette surveillance du littoral était rendue nécessaire par le confinement, elle n'a vocation à se poursuivre qu'en cas de nécessité opérationnelle particulière.»

Pour autant, par recoupements d'information dans plusieurs brigades de gendarmerie et offices de tourisme, nous privilégions l'hypothèse que la plage en question se trouve dans le sud de la France. Nous développons cette piste en tentant de trouver une réponse auprès de diverses unités de gendarmeries de ce côté de la France.

Equipe Journalistes Solidaires

Mathilde Sourd

Lina Fourneau

© Journalistes Solidaires

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