Des médicaments vétérinaires pour les hôpitaux belges et français ?
Dernière édition le 12 mai 2020 à 13:22 - Relecture par Anne Smadja , correction par Lina Fourneau , coordonné par Nelly Pailleux

C'est essentiellement vrai
En bref
Sur RTL Info le 15 avril dernier, Philippe Devos confirmait que des hôpitaux belges allaient recevoir des médicaments à usage vétérinaire pour pallier une pénurie de sédatifs. Une rumeur qui est avérée aussi pour la France, et qui mérite quelques explications.
En Belgique
«_Il y a plusieurs hôpitaux à qui le gouvernement a dit : _"On n’a plus de médicaments pour humain donc on va vous donner des médicaments pour chiens et chats"», avait affirmé Philippe Devos, président de l’Association belge des syndicats médicaux et chef du service des soins intensifs du CHC (Centre hospitalier chrétien) de Liège, interrogé alors sur la pénurie de sédatifs dans les hôpitaux.
Depuis, il a nuancé ses propos, reconnaissant qu’il ne possédait pas toutes les informations au moment de ses déclarations sur le plateau de RTL Info. «Je n’avais pas encore eu l’AFMPS [Agence fédérale des médicaments et des produits de santé, NDLR] en ligne, qui nous a ensuite précisé que ces médicaments étaient les mêmes que des médicaments à usage humain. C’est juste le terme "usage vétérinaire" sur l’ampoule, qui change», clarifie le docteur.
En Belgique, l’AFMPS contrôle, autorise et régule la mise sur le marché des médicaments. Elle a validé l’administration du Proposure, un anesthésique pour animaux.
La substance active du Proposure est le propofol, un anesthésique nécessaire aux soins intensifs. Les composants de ce médicament sont les mêmes que ceux retrouvés dans le Diprivan, sédatif à usage humain.
Début avril, après une analyse des stocks des firmes et des pharmacies, et au regard des projections faites sur l’évolution de l’épidémie, l’AFMPS constate qu’il n’y avait «possiblement pas assez de propofol sur le marché pour répondre aux besoins». Pour éviter la rupture de stocks, l’institution envoie du Proposure à** tous les hôpitaux belges** disposant d’un service de soins intensifs.
Les 14 et 15 avril derniers, 965 boîtes de Proposure 10 mg/ml sont délivrées aux hôpitaux. L’AFMPS précise qu’«avant même d’envisager la piste de l'utilisation des médicaments vétérinaires, d’autres solutions ont été explorées en étroite collaboration avec les pharmaciens hospitaliers».
Utilisation exceptionnelle de médicaments vétérinaires
Si l’AFMPS affirme que le Proposure a été utilisé sur des patients dans certains services de soins intensifs belges, il est plus compliqué de savoir dans quelles proportions. Les hôpitaux jouissent d’une liberté thérapeutique et l’agence fédérale ne dispose pas de données précises sur l’usage effectif du produit par les médecins des hôpitaux.
Du côté de l’Association professionnelle belge des médecins spécialistes en anesthésie et réanimation (APSAR), on explique que l’utilisation du médicament vétérinaire est restée exceptionnelle.
«Il se peut qu’un soir, dans l’un ou l’autre service de soins intensifs, une dose de Proposure ait été administrée à un patient», avance Gilbert Bejjani, membre de l’APSAR et médecin directeur de la clinique de la Basilique à Bruxelles.
Certains hôpitaux ont bien connu une pénurie temporaire de sédatifs à usage humain, admet l'AFMPS sur son site. En Belgique, c’est la première fois qu’un médicament à usage vétérinaire contenant du propofol est utilisé en soins intensifs.
Actuellement, les stocks de sédatifs ont été renfloués, grâce à des achats auprès de pays européens et non européens. L’AFMPS indique à ce propos qu’elle «a dû se tourner vers des producteurs dont les médicaments à usage humain ne disposent pas d’une autorisation de mise sur le marché en Belgique.» Après des contrôles «de la qualité du site de production, des certifications internationales du laboratoire, de l’équivalence stricte des principes actifs et excipients», l’AFMPS garantit que les médicaments fournis aux hôpitaux peuvent être utilisés sur le patient belge, sans aucun risque.
L’agence fédérale a également demandé et constaté une augmentation de la production et une accélération de la livraison des producteurs habituels du marché belge. Résultat :_ «Vingt à trente hôpitaux ont indiqué qu’ils pouvaient mettre le Proposure reçu à la disposition d’autres hôpitaux car ils ne l’utilisent pas»_, fait savoir l’AFMPS, qui précise que «les stocks de médicaments humains sont désormais suffisants pour répondre à la demande de tous les hôpitaux du pays, jusqu'à fin juin au moins».
Deux fois par semaine, des experts de l’AFMPS réalisent une enquête sur les stocks des hôpitaux. Les médicaments vétérinaires jouent quand même une utilité en tant que réserve stratégique. En effet, les stocks de sédatifs dans les hôpitaux restent «faibles pour permettre une reprise normale des activités», détaille Gilbert Bejjani. Il ajoute d’ailleurs qu’il n’a pas fallu attendre la crise sanitaire en cours pour fonctionner avec un stock à flux tendu. Une politique qui montre ses limites dans le contexte de la crise sanitaire.
Tous les médicaments utilisés répondent aux normes européennes
Pour Philippe Devos, il ne faut rien exclure car l’évolution de la crise sanitaire est difficile à prévoir. «Peut-être que si la crise s’aggrave, des médicaments vétérinaires avec des composants légèrement différents des médicaments humains pourraient être administrés.» Cette situation ne semble pas d’actualité et surtout, l’AFMPS assure que «les experts analytiques ont fourni des données très rassurantes permettant l’usage de ces médicaments en toute sécurité pour [les] patients.» L’agence fédérale conclut en précisant que tous les médicaments administrés dans les hôpitaux belges, qu’ils soient destinés à un usage vétérinaire ou humain, répondent aux** normes européennes** et la qualité des usines de fabrication sont strictement contrôlées par ses experts.
En France
Deux médicaments autorisés pour faire face à la pandémie
En France, le décret du 2 avril a bien autorisé l’utilisation de médicaments vétérinaires pour_ «faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire»_. Cette autorisation, comme en Belgique, concerne seulement le propofol, qui permet la sédation des patients intubés et ventilés. À la différence que, dans les hôpitaux français, deux médicaments vétérinaires à base de propofol sont autorisés : le Proposure, comme en Belgique, mais aussi le Propovet. Seuls les excipients changent entre les deux formules.
Selon cette étude de l’Agence nationale française du médicament et des produits de santé (ANSM), le Proposure contient les mêmes excipients que le Diprivan, _«spécialité de référence en médecine humaine.» _
Ce n’est pas le cas pour tous les excipients du Propovet même si l’étude précise que ces excipients se retrouvent malgré tout dans d’autres médicaments à usage humain. La Belgique, elle, avait estimé que le stock de Proposure serait suffisant pour parer à une éventuelle rupture en anesthésiques humains, indique l’AFMPS.
Une rupture d’anesthésiques dans les hôpitaux français ?
Début avril, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) contacte et prévient le Syndicat de l'industrie du médicament et du diagnostic vétérinaire (SMIV) d’un «risque de rupture en humaine». Marie-Anne Barthélémy, secrétaire générale du SMIV, reconnaît que _«la demande a été très forte, et que les laboratoires vétérinaires n’ont pas pu suivre». _
C’est l’ANSM qui évalue les risques et détermine quels médicaments produits par des laboratoires vétérinaires peuvent être utilisés sans danger sur les humains. «Seul le propofol a été autorisé après évaluation par l’ANSM, mais la liste des médicaments vétérinaires demandée initialement par les hôpitaux était beaucoup plus longue», confie Marie-Anne Barthélemy. L’industrie vétérinaire a été envisagée comme solution car son organisation est très proche de celle de la pharmaceutique humaine : «Les deux médicaments ont tous deux une autorisation de mise sur le marché (AMM) démontrant leur qualité, leur innocuité et leur efficacité et sont fabriqués selon des normes strictes BPF (bonnes pratiques de fabrication).»
Mais si le Proposure et le Propovet ont été autorisés aux hôpitaux, ont-ils pour autant été utilisés ?
Des médicaments vétérinaires stockés seulement en prévention d’une rupture éventuelle
Seuls deux laboratoires vétérinaires produisent ces médicaments en France ; Zoétis pour le Propovet et Axience pour le Proposure. Les demandes leur parviennent en semaine 15 (du 6 au 12 avril). Seul Axience est alors en mesure de livrer. Le laboratoire envoie alors 22 000 flacons de Proposure à sept hôpitaux - dont plus de 80% sont des hôpitaux d’île de France, et se retrouve en rupture de stocks. C'est pourtant une «petite quantité, remarque le président du laboratoire Laurent Flaus, en comparaison des volumes consommés en humaine.»
À l’exception des deux premières semaines d’avril, l’industrie du médicament n’a pas reçu d’autres demandes. «Cela vient probablement du fait que les hôpitaux n’en avaient pas tant besoin, explique Marie-Anne Barthélemy.
Pierre Lanot, secrétaire général du Syndicat national des anesthésistes et réanimateurs de France, a ainsi indiqué qu’aucun médicament vétérinaire n’avait été utilisé à sa connaissance, à la différence de certains services de soins intensifs belges. Ces stocks sont surtout constitués en cas de rupture. Les hôpitaux sont en effet sous tension. C’est le cas notamment de l’hôpital privé d’Antony (Hauts-de-Seine), fortement touché par l’épidémie, où travaille Pierre Lanot comme anesthésiste-réanimateur :
«Au plus fort du pic fin mars, nous n’avions que deux ou trois jours de marge pour la réanimation. Mais nous n’avons pas eu besoin de recourir à des médicaments vétérinaires.»
Les médicaments vétérinaires ne semblent pas envisagés comme une véritable solution pour les prochaines semaines
Comme l’explique Pierre Lanot, l’inquiétude concernant les stocks d’anesthésiques est plus que jamais présente parmi les soignants : «L’épidémie est encore loin d’être derrière nous, et surtout les hôpitaux vont commencer à reprendre des anesthésies pour des opérations urgentes, comme en cancérologie. Or, les besoins en anesthésiques sont évalués pour l’instant seulement en fonction de l’activité réanimatrice des établissements, c’est-à-dire en prévision du nombre de personnes intubées, ventilées. Mais** ils n’ont pas pris en compte les besoins en anesthésie, pour une reprise de l’activité normale**.»
Toutefois,** Pierre Lanot **précise que **l’inquiétude des anesthésistes-réanimateurs porte moins sur les sédatifs que sur les curares. **Le propofol appartient à cette première catégorie, des sédatifs permettant de diminuer la conscience des patients, voire d’obtenir un coma en réanimation. Les curares, eux, permettent de paralyser les muscles striés, à contrôle volontaire (comme les muscles de la respiration contrairement à d’autres muscles comme le cœur) et ils sont indispensables pour que le patient se laisse faire par le réanimateur.
«Ce qui nous inquiète c’est surtout la rupture de curare, on peut remplacer les sédatifs par des hypnotiques et des morphiniques mais pas les curares.»
**Or, le curare n’a pas trouvé son équivalent en médecine vétérinaire, **signale Marie-Anne Barthélémy, secrétaire générale du SMIV : «La liste initiale des besoins des hôpitaux était beaucoup plus longue que celle que nous avons finalement fournie. En vétérinaire, nous n’avons notamment pas de médicament qui puisse remplacer ceux à base de curare utilisés en réanimation chez l’homme.»
C’est bien** la première fois,** assure le SMIV, que les laboratoires vétérinaires sont sollicités pour de la médecine humaine en France. Mais si les médicaments vétérinaires peuvent pallier certains manques, ils ne semblent pas envisagés comme solutions pour les ruptures à venir d’anesthésiques. Les laboratoires vétérinaires n’ont pas été davantage mobilisés. Et comme l’explique Marie-Anne Barthélemy, même si certains médicaments sont similaires dans leur fabrication et leur mode d’administration, _«beaucoup de spécialités en anesthésie vétérinaire restent très différentes.» _
Les laboratoires vétérinaires en ont livré mais son utilisation reste exceptionnelle. Les stocks ont surtout été constitués pour pallier une rupture éventuelle de Diprivan.
Les médicaments vétérinaires ne peuvent pas éviter tous les manques en anesthésie. D’autres solutions doivent être trouvées pour la reprise normale de l’activité anesthésique et réanimatoire en hôpital.
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et essentiellement vraie
Première apparition sur le web
15 Apr 2020
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Non renseigné
Actions entreprises par les journalistes
Côté belge : Interview de Philippe Devos, président de l’ABSYM et le chef des soins intensifs d’un hôpital de Liège. Contact de l'AFMPS, renseignements pris par téléphone avec Olivier Christiaens, porte-parole, et par échange de mails. Contact de l'APSAR
Côté français : Contact de Jean-Louis Humault, président du syndicat de l’industrie du médicament et du diagnostic vétérinaire. A redirigé vers Marie-Anne Barthélémy, secrétaire générale du syndicat de l'industrie du médicament et du diagnostic vétérinaire. A redirigé vers Laurent Flaus, président du laboratoire Axiance Contact de Pierre Lanot, secrétaire général du syndicat national des anesthésistes et réanimateurs de France, et lui-même anesthésiste réanimateur à l’hôpital d'Anthony.
Pistes et conclusions
BELGIQUE : La pénurie de certains médicaments entraîne la nécessité de recourir à des médicaments d'usage vétérinaire. (La France avait commencé 10 jours avant la Belgique). MAIS, actuellement, ces médicaments à usage vétérinaire sont exactement les même que des médicaments à usage humain, certifie Philippe Devos. C'est juste le terme "usage vétérinaire" sur l'ampoule, qui change. En revanche, si la crise s'aggrave, et que la pénurie se creuse, des médicaments vétérinaires avec des composants légèrement différents pourraient être administrés. On n'y est pas encore et c'est difficile de le prévoir. Il a détaillé que ces médicaments sont toujours testés (visite des usines des fabricants et garantie européenne.) D'après l'AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé), le médicament à usage vétérinaire est donc le Proposure, qui contient les mêmes excipients que le Diprivan (son équivalent pour usage humain). C'est un sédatif utilisé pour les patients en soins intensifs. avec la crise sanitaire en cours, c'est la première fois en Belgique que des hôpitaux recourent à des médicaments vétérinaires. Un total de 965 boites de Proposure 10 mg/ml a été délivré aux hôpitaux les 14 et 15 avril 2020, mais il est important de noter que tous ne s’en sont pas nécessairement servis. l'AFMPS ne récolte pas de données concernant l'utilisation des médicaments vétérinaires car il en va de la liberté thérapeutique des hôpitaux. Si tous les hôpitaux belges disposant d'un service de soins intensifs ont reçu le Proposure, environ 20 à 30 d'entre eux indiquent qu'ils sont en mesure de mettre le Proposure reçu à la disposition d'autres hôpitaux car ils ne l’utilisent pas. l'AFMPS ajoute à cela que, désormais, les stocks de médicaments à usage humains sont suffisants et que les hôpitaux pourront répondre à leurs besoins jusque fin juin, au moins.
FRANCE : Il existe un décret (décret du 2 avril) qui autorise en effet l’administration de médicaments vétérinaires aux patients pour « faire face à l’épidémie de Covid ».
Contact de Jean-Louis Humault, président du syndicat de l’industrie du médicament et du diagnostic vétérinaire. A redirigé vers Marie-Anne Barthélémy, secrétaire générale du syndicat de l'industrie du médicament et du diagnostic vétérinaire : Elle a bien confirmé que les hôpitaux ont demandé ces stocks d’anesthésiques, probablement avant même avant le décret du 2 avril autorisant leur utilisation. Deux médicaments sont autorisées par l'ANSM : le proposure et le provopet. Mais ils contiennent tous deux le même principe actif : le propofol. Seuls les excipients changent. L'étude de l'ANSM est publique et disponible sur leur site. La liste demandée par les hôpitaux français de médicaments était beaucoup plus longue, indique MA Barthélémy que celle finalement autorisée par l'ANSM. En livrant les hôpitaux, l'industrie du médicament vétérinaire s'est retrouvée rapidement en rupture de stocks. Cela n'indique pas pour autant que les hôpitaux les aient utilisés. Contact donc de Pierre Lanot, secrétaire général du syndicat national des anesthésistes et réanimateurs de France. Il est lui-même anesthésiste réanimateur à l’hôpital d'Anthony, particulièrement touché par la Covid-19 : Il confirme l'inquiétude des soignants pour les stocks à venir d'anesthésiques. Toutefois ils n'ont pas encore connu de rupture, même si au plus fort de la crise, il y a quelques semaines, leur marge était de "deux ou trois jours" seulement. Ils n'ont donc pas eu besoin de recourir aux stocks vétérinaires. Toutefois vu les stocks disponibles, il semble difficile d'envisager pour l'heure actuelle la reprise progressive des opérations chirurgicales pour les autres pathologies, notamment les services de cancérologie. La SFAR, société française d’anesthésie et de réanimation, oeuvre actuellement à répertorier ces besoins jusqu'ici sous-estimés.