Nuages de type mammatus au dessus de l'Himalaya (Népal). - Crédit photo : Anton Yankovyi

Des nuages créés artificiellement au-dessus de la Chine ?

Dernière édition le 6 octobre 2021 à 12:57 - Relecture par Cypriane El-Chami , coordonné par Denis Verloes

C'est faux

En bref

Des nuages filmés avec une apparence inhabituelle, il n’en faut pas plus pour que certains internautes y voient une modification de la météo par des humains, alors que ce phénomène certes spectaculaire est naturel et bien connu des météorologistes.

Le 1er août 2021, le compte Twitter France Résistance publie la vidéo d’un ciel chargé de nuages aux formes peu communes. L’auteur accompagne l’extrait de 15 secondes de quelques mots : «Chine : des nuages aux formes étranges planaient au-dessus de Shijiazhuang».

Capture d'écran du tweet
Capture d'écran du tweet de France Résistance représentant supposément des nuages d’origine humaine.

Très vite, le tweet est commenté par de nombreux internautes. Alors que plusieurs y voient un phénomène spectaculaire, d’autres interprètent les images comme une manifestation d’une manipulation de la météo par des humains. Une partie d’entre eux affirment même connaître le coupable. Leurs accusations se portent sur l'observatoire de recherche américain Haarp.

Capture d'écran des commentaires
Capture d'écran des différents commentaires faisant allusion au projet Haarp.

Les images sont-elles réelles ?

Devant la séquence presque irréelle de ce ciel, la première réaction est pour beaucoup de douter de la véracité des images. Pourtant, si un phénomène de cette ampleur s'était réellement produit, il y a fort à parier que la presse locale parlerait de l’évènement. Après quelques recherches sur Baidu (moteur de recherche chinois), il est possible de trouver plusieurs articles (1) (2) (3). Tous font état, images à l'appui, de nuages peu communs. La localisation donnée par l’auteur du tweet et les articles de presse concordent : il s'agirait bien de la province du Hubei.

Province du Hubei
Province du Hubei. - Crédit image : Google Maps.

Les différentes sources corroborant la vidéo initiale viennent confirmer la réalité de l'évènement.

Que sont ces étranges nuages ?

Il existe une grande variété de nuages, tous avec leurs caractéristiques propres. Afin de pouvoir identifier ceux présents sur la vidéo, Journalistes Solidaires a utilisé Invid, un outil d’analyse de photos et de vidéos. Grâce à l'application, JS a isolé une image fixe à partir de la vidéo et l'a soumise à une recherche inversée sur Google Image. Selon le moteur de recherche, il s'agirait de mammas, ou mammatus.

Journalistes Solidaires a sollicité l'expertise du docteur Fabian Debal, météorologiste principal de l'Institut royal météorologique, l'équivalent belge de Météo France. Lors d'un échange téléphonique, il confirme qu'il s'agit très probablement de mammatus et que ceux-ci sont bien connus et étudiés depuis le début du XXe siècle.

Pour expliquer le mécanisme de ce phénomène météorologique, Fabian Debal s'appuie sur un article de Schultz et al., publié le 1er octobre 2006 dans la revue scientifique Journal of the Atmospheric Sciences.

«Les mammatus constituent un phénomène naturel qui peut se produire en-dessous des nuages et en particulier sous l'enclume des cumulonimbus (nuages orageux). Lorsque des cristaux ou des gouttelettes s'échappent de la nappe nuageuse, ils se retrouvent dans l'air plus sec présent sous celle-ci. Le processus d'évaporation ou de sublimation de ces éléments va alors conduire à un refroidissement et à une humidification de cette couche d'air sous-jacente. L'air saturé en humidité et plus froid que son environnement va alors chuter, donnant lieu aux protubérances nuageuses que sont les mammatus. Néanmoins, d'autres mécanismes sont également invoqués pour expliquer la formation des mammatus. En fonction de l'heure de la journée, les nuages peuvent prendre des teintes blanches bleutées jusqu’à une couleur orange feu au moment du lever ou coucher du soleil.»

Toujours selon le spécialiste :

«Il n'est pas étonnant d'observer ce phénomène (mammatus) en Chine. D'ailleurs, en ce qui concerne plus spécifiquement les mammatus associés aux cumulonimbus, ils sont tout à fait possibles puisque c'est évidemment l'été aussi en Chine et que cette saison est propice aux développements convectifs à l'origine de ces nuages orageux.»

Afin de pouvoir confirmer les informations récoltées, l'équipe de Journalistes Solidaires s’est procuré les données météorologiques de la ville de Yantai. Selon les données rapportées par le site Meteoblue, la localité a connu lors des 15 derniers jours de juillet de forts épisodes nuageux.

Mammatus au dessus de la ville de Regina Saskatchewan (Canada)
Mammatus au dessus de la ville de Regina Saskatchewan (Canada). - Crédit photo : Craig Lindsay.

L'observatoire de recherche Haarp, une machine à modifier le climat ?

Haarp, pour High Frequency Active Auroral Research Program, est un programme scientifique états-unien débuté en 1993 et implanté en Alaska. Le centre de recherche est équipé de 180 antennes réparties sur plusieurs hectares, capables d'émettre des ondes radio de très forte intensité en direction de l'ionosphère, la couche de notre atmosphère située entre 60 et 1 000 km d'altitude. Le projet a été financé jusqu’en 2014 par l’armée dans un but de recherche appliquée dans le domaine des télécommunications. En 2015, les installations passent dans le giron civil, étant exploitées par l'Institut géophysique de l'université d'Alaska afin d'étudier davantage les perturbations de l'ionosphère par, entre autres, les orages magnétiques, en les simulant par l'émission d'ondes radio à hautes fréquences.

Le projet Haarp est depuis de nombreuses années la cible de toutes les rumeurs. Il est tour à tour accusé d'être une arme destinée à détruire les satellites en vol, d'être un outil de contrôle des pensées, d'être responsable de la tragique explosion de la navette Columbia du 1er février 2003, de pouvoir générer des tremblements de terre et... d'être un outil de modification de la météo. 

Sur cette dernière accusation, le site d’actualité scientifique Popular Science a posé la question à Umran Inan, professeur de génie électrique à l'université de Stanford dont le groupe de recherche travaille sur Haarp.

«Il n'y a absolument rien que nous puissions faire pour perturber les systèmes [météo] de la Terre. Même si la puissance rayonnée par Haarp est très importante, elle est minuscule par rapport à la puissance d'un éclair - et il y a 50 à 100 éclairs par seconde. L'intensité de Haarp est très faible.»

En effet le projet Haarp fait pâle figure avec ses émissions maximales entre 420 et 3 800 mégawatts face à des éclairs produisant une énergie d’en moyenne 10 000 mégawatts par seconde ou encore la lumière directe du soleil irradiant constamment la Terre à hauteur de 1 368 watts au mètre carré.

Faire la pluie et le beau temps

Depuis longtemps, les humains cherchent à influencer la météo. Des danses de la pluie amérindiennes et égyptiennes jusqu'aux rites d'invocation de la pluie chez les musulmans ou les chrétiens, la maîtrise de cet élément semble important dans les civilisations fondées sur l'agriculture.

Aujourd'hui, la modification de la météo reste un enjeu majeur et plusieurs laboratoires au niveau mondial travaillent à des méthodes et des techniques la permettant. Dès 1976, la Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles vient se poser en garde-fou d'une utilisation offensive de ce type de technologie.

À l'heure actuelle, plusieurs méthodes sont déjà utilisées. La plus connue reste le paratonnerre, ce dispositif permettant de dévier la course de la foudre. La deuxième, née en 1946 aux Etats-Unis, est l’ensemencement de nuages préexistants avec de l'iodure d'argent ou de la neige carbonique accompagnée de chlorure de sodium (sel de table), pulvérisés par avion ou envoyés via des projectiles. Ce cocktail favorise l’agglomération des gouttelettes d'eau présentes dans le nuage, qui retombent sous la forme de précipitations. La Chine crée dans les années 2000 le Bureau des modifications météorologiques de Pékin, qui a pour mission de développer cette technique. Selon cette étude du chercheur en géo-ingénierie allemand Wolfgang Gasser, Pékin serait le leader dans ce domaine de recherche. D'autres techniques, sont étudiées par les Émirats Arabes Unis, notamment une qui vise à condenser l'humidité de l'air via des ionisateurs et une autre utilisant des drones pouvant envoyer des chocs électriques dans les nuages afin de déclencher des averses. Toutefois, ces projets n'ont qu'un rayon d'action très localisé.

En conclusion, au vu des différents éléments, rien ne vient contredire l’origine naturelle des nuages. Voir ici une intervention humaine sur la base de cette seule vidéo pourrait relever entre autres d'un biais d'intentionnalité.

Biais d'intentionnalité : tout n'a pas forcement un but ou une raison

Des éruptions volcaniques du Piton de la Fournaise à la bioluminescence de certains organismes vivants, la nature regorge de phénomènes spectaculaires. Le processus qui pousse à chercher et déduire des intentions derrière un évènement qui dépasse notre compréhension est identifié et connu par les psychologues depuis 1944 et est appelé "biais d'intentionnalité". 

Le biais d'intentionnalité est un biais cognitif mis en évidence par le travail du psychologue Fritz Heider et la neurologue Marianne Simmel. Il s’agit de la tendance qu’ont les êtres humains à vouloir attribuer une intention aux évènements qu’ils ne comprennent et/ou ne maîtrisent pas. C’est ce phénomène qui est à l'œuvre lorsque les Grecs voient dans la foudre la colère de Zeus ou lorsque les théoriciens du complot illuminati interprètent la moindre forme vaguement triangulaire comme la preuve de la mainmise d’une société secrète.

En bref

Le 1er août 2021, un compte Twitter publie une vidéo montrant un ciel chargé de nuages aux formes inhabituelles, supposément en Chine. De nombreux commentaires sous ce tweet y voient une origine artificielle. Pourtant, après plusieurs vérifications, on peut affirmer que ces nuages sont des mammatus (appelés aussi mammas), issus d'un phénomène météorologique naturel et expliqué par la science.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et fausse

Première apparition sur le web
01 Aug 2021
Dernière modification de la fiche de l'enquête
16 octobre 2021 à 18:00
Lieu de publication constaté
Twitter
Actions entreprises par les journalistes

[x] Vérifier si la vidéo a été retouchée ou non [x] Identifier l'origine de la vidéo [x] Identifier la région et la date de la vidéo [x] Vérifier si la presse locale fait mention du phénomène [x] Identifier la plausibilité d'u phénomène climatique naturel [x] identifier la plausibilité d'une manipulation climatique [x] Interviewer un météorologue

Pistes et conclusions

[ ] La forme de ces nuages est effectivement particulière : quel procédé industriel pourrait les "créer"? [ ] Leur forme particulière les rend peut-être identifiables d'un météorologiste [ ] Identifier par analogie et recherche internet si des nuages de ce type peuvent résulter d'un phénomène climatique standard ou d'une création humaine. Dont le projet Haarp cité en probable cause par les commentateurs du tweet [ ] Après recherche il semble que ces nuages soient des mammatus, phénomène climatique connu [ ] Au vu de la date et de la localisation de la vidéo, demande de l'aide ou de la confirmation d'un scientifique de l'IRM [ ] Ce phénomène impressionnant est issu d'un processus naturel [ ] Demande de confirmation auprès du météorologiste, si dans la région où aurait été tourné la vidéo il est possible que des mammatus aient survolé les habitations.

Equipe Journalistes Solidaires

Julien Cazenave

© Journalistes Solidaires

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