Une mission d'information sénatoriale s'est prononcée en décembre 2020 en faveur de la primauté du vote à l'urne. Le vote par correspondance ne serait, pour le moment, pas envisageable. / Crédits : Arnaud Jaegers via Unsplash

Élection américaine : retour du vote par correspondance en France ?

Dernière édition le 15 mars 2021 à 18:40 - Relecture par Claire Guérou , correction par Anne Smadja , coordonné par Cypriane El-Chami

C'est faux

En bref

Une proposition de loi visant à rétablir le vote par correspondance a été déposée au Sénat début novembre. Elle ne fait pas suite à l'élection américaine, mais anticipe plutôt les scrutins régionaux et départementaux de 2021.

Le 13 novembre 2020, le compte Instagram @petite.voix.interieure (plus de 2 300 abonnés) partageait en format story la capture d'écran d'une publication parue le même jour sur le compte @_jeffbeaulieu_ (près de 3 600 abonnés), comprenant le message suivant : «Aux vues (sic) de la fraude électorale massive “par correspondance” aux États-Unis, le sénateur de Macron Xavier Iacovelli décide de remettre en France le vote par correspondance interdit depuis 1975 car permettant la fraude électorale massive.» Si une proposition de loi concernant le vote par correspondance a bien été déposée au Sénat le 5 novembre 2020, la raison en est bien différente de celle évoquée dans l’affirmation précédente. 

_Signalement_

Une proposition de loi en un article

Le 5 novembre 2020, le sénateur des Hauts-de-Seine, Xavier Iacovelli (La République en marche), présente une proposition de loi «visant à autoriser le vote par correspondance». Dans l’exposé des motifs, il évoque le taux d’abstention record enregistré lors des élections municipales françaises le 28 juin 2020. «À Nice et à Saint-Étienne, l’abstention atteignait respectivement 72,25 % et 72 %», souligne l’auteur. La raison, d’après lui : «La crainte légitime ressentie par nos concitoyens face à l’épidémie de Covid-19.» Pour ce dernier, la solution du vote par correspondance serait donc un «outil démocratique efficace» pour les prochaines élections régionales et départementales prévues en 2021. 

La proposition, qui comprend un seul article de loi, prévoit un ajout simple : «Les électeurs votent soit dans les bureaux ouverts, soit par correspondance sous pli fermé.» Il est ensuite proposé de donner au Conseil d’État la prérogative sur les modalités du déroulement du vote. Cet ajout, comme le précise le texte, est en réalité le rétablissement de l’article sur le vote par correspondance supprimé en 1975. La mention «sous pli fermé» fait explicitement allusion à un vote physique et non numérique. 

Contrairement à ce qui est affirmé par @_jeffbeaulieu_, le sénateur Iacovelli ne «décide» donc pas de réinstaurer le vote par correspondance, il soumet simplement une proposition de loi. Elle est en lien avec la pandémie de Covid-19, non avec l'élection américaine. Ce n'est d'ailleurs pas la première initiative du genre en 2020.

En effet, dans une tribune publiée dans le _Journal du dimanche _le 28 mai 2020, le maire de Nancy, Laurent Hénart, demandait au gouvernement «la possibilité d’expérimenter le vote par correspondance dans les communes volontaires» lors du scrutin municipal qui se tenait un mois plus tard. Plusieurs propositions de loi ont émergé ensuite pour défendre cette modalité de vote. Au-delà d’un constat identique de l’effet de la pandémie sur l’abstention, Laurent Hénart et Xavier Iacovelli prennent la Suisse en exemple où le vote par correspondance est largement répandu. 

Lors de l'élection présidentielle du 3 novembre 2020, les électeurs états-uniens pouvaient utiliser une enveloppe comme celle-ci pour envoyer leur vote par correspondance. Crédits : Tiffany Tertipes via Unsplash
Lors de l'élection présidentielle du 3 novembre 2020, les électeurs états-uniens pouvaient utiliser une enveloppe comme celle-ci pour envoyer leur vote par correspondance. / Crédits : Tiffany Tertipes via Unsplash

Le vote par correspondance, de 1946 à 1975

Instauré en France par la loi n°46-667 du 12 avril 1946, le vote par correspondance avait pour but de garantir le droit de vote aux électeurs «empêchés de voter dans les conditions normales». Ce mode de vote n'était valable que pour certains électeurs en déplacement pour des raisons professionnelles – les militaires à l’étranger, «les mariniers, artisans ou salariés à bord», «les fonctionnaires, cheminots et agents des services publics [...] en déplacement»,_ «le personnel navigant de l’aéronautique civile»_ par exemple –, ou pour d’impérieuses raisons de santé – les personnes hospitalisées, notamment.

À la suite de plusieurs irrégularités et pour réduire la fraude électorale comme à Ajaccio en 1975, le vote par correspondance est supprimé par la loi n°75-1329 du 31 décembre 1975 modifiant certaines dispositions du code électoral. Cette loi met en vigueur trois séries de dispositions concernant les modalités de révision des listes électorales, les procédures de vote et les pouvoirs des juridictions administratives en matière de contentieux électoral.

Vers le report du scrutin

Pour le moment, le gouvernement souhaite repousser de trois mois la date des élections régionales et départementales, jusqu'à juin 2021. Le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé le 13 novembre 2020 un projet de loi dans ce sens. Il prévoit le réaménagement du calendrier électoral et de l’organisation des scrutins. De leur côté, les sénateurs se sont également penchés sur «la faisabilité du vote à distance [soit du vote par correspondance «papier» ou du vote électronique, ndlr]» par une mission d’information créée le 18 novembre 2020. 

Dans son rapport paru le 16 décembre 2020, cette mission réaffirme «la primauté du vote à l’urne». Le vote à distance, qu’il soit par correspondance ou numérique, ne serait actuellement pas envisageable «en raison du manque de consensus politique, des contraintes organisationnelles et des obstacles techniques». Une facilitation du vote par procuration «pour les personnes qui ne peuvent se déplacer jusqu’au bureau de vote» est préférée et pourrait être mise en œuvre de manière pérenne. 

En bref

  • Le retour du vote par correspondance n’est pas lié à l'élection américaine mais à la crise sanitaire du Sars-CoV-2 et au taux d'abstention élevé observé aux dernières élections françaises.
  • Il ne s’agit en aucun cas d’une décision actée mais d’une proposition de loi de la part du sénateur Xavier Iacovelli. 
  • Le vote par correspondance a bien existé en France de 1946 à 1975. Il était limité à une liste de professions spécifiques et possible pour raisons de santé. 
  • Le Sénat a finalement rejeté l’idée du vote par correspondance dans les conditions actuelles de scrutin. 
  • Le gouvernement prévoit de reporter les élections régionales et départementales à juin 2021.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et fausse

Première apparition sur le web
10 Nov 2020
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté

Non renseigné

Actions entreprises par les journalistes

16 novembre 2020 : prise en main du sujet.

30 novembre 2020 : début de la rédaction du sujet.

Pistes et conclusions

Le contexte de la pandémie actuelle joue un rôle majeur dans la proposition de Xavier Iacovelli, le contexte n'est pas celui énoncé dans le message original.

De nombreuses propositions de loi ont émergé pour défendre le vote par correspondance face au taux d'absention élevés observés lors des dernières élections en France.

Cette modalité de vote est également défendu dans des contextes exceptionnels de limitation de déplacement comme celui de l'épidémie de Covid-19.

Dans un rapport en date du 16 décembre 2020, une mission d'information sénatoriale a considéré que le vote à distance, qu'il soit par correspodance "papier" ou en ligne, n'était pas envisageable. La facilitation du vote par procuration serait préférable.

Equipe Journalistes Solidaires

Manon Deniau

Guillaume Amouret

© Journalistes Solidaires

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