Le projet de loi sur la bioéthique a été approuvé par l'Assemblée nationale en dernière lecture ce mardi 29 juin 2021.

La loi sur la bioéthique permet-elle d'avorter jusqu’à 9 mois ?

Dernière édition le 30 juin 2021 à 11:31 - Relecture par Claire Guérou , correction par Anne Smadja , coordonné par Lina Fourneau

C'est à nuancer

En bref

Avorter jusqu’à neuf mois de grossesse ? Un internaute affirme dans un tweet que le projet de loi sur la bioéthique aurait changé les délais légaux autorisés. Il s’agit en réalité d’un cas particulier déjà existant en pratique.

Adopté en dernière lecture par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021, le projet de loi sur la bioéthique doit être appliqué d’ici la fin de l'année. Mesure phare de ce projet de loi : l'ouverture de la PMA à toutes les femmes (notamment les femmes seules et les couples lesbiens).    Mais des internautes semblent avoir été interpellés par une autre information, comme on peut le voir dans ce tweet en date du 2 août 2020, qui a fait l'objet de plus de 1 100 retweets et commentaires et de plus de 860 likes.   L’internaute y avance que le projet de loi inclurait, entre autres, une extension de l’autorisation d’avorter jusqu’à neuf mois de grossesse. Notons que le tweet ne spécifie pas quelles personnes seraient concernées par cette supposée autorisation.   Pour le moment, les délais légaux autorisés pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG) dépendent de la méthode utilisée : 

  • L’IVG médicamenteuse est possible en cabinet médical jusqu’à la fin de la cinquième semaine de grossesse. Ce délai court jusqu’à sept semaines si elle est pratiquée dans un établissement de santé (soit au maximum un mois et demi environ).
  • L’avortement par aspiration (ou IVG chirurgicale) peut être réalisé jusqu’à la fin de la douzième semaine de grossesse (soit au maximum deux mois et demi environ).

Une IMG jusqu’à neuf mois de grossesse pour les personnes «en détresse psycho-sociale»

En réalité, l’élément qui pose problème concerne l’IMG, l’interruption médicale de grossesse. Cette forme d’avortement est possible jusqu’au neuvième mois si la santé de la femme enceinte est en jeu ou si l’enfant présente des affections graves et incurables. L'IMG est déjà pratiquée en France depuis une quarantaine d'années.

Ce 1er août 2020, les critères concernant l’état de santé de la femme enceinte, qui déterminent l'autorisation d'avoir recours à l'IMG, ont été élargis : la «détresse psycho-sociale» y est désormais incluse. Un critère que certains gynécologues prenaient déjà en compte, mais qui était peu connu par l'ensemble du corps obstétricien et les patientes.

Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) s’est positionné en faveur de cette proposition de loi dans un communiqué en date du 11 octobre 2019, assurant que sur le terrain, «l’IMG d’indication maternelle implique une prise en compte des causes psycho-sociales».

Ce communiqué précise également que : «[La détresse psycho-sociale] concerne des femmes en situation de danger personnel, de violences, de difficultés psychologiques majeures ou d’extrême précarité, rendant impossible la poursuite de leur grossesse alors même qu’elles dépassent le délai légal de l’IVG de 14 semaines d’aménorrhée. Ces situations rendent compte d’une bonne part des déplacements à l’étranger pour interruption de grossesse, néfastes pour la santé, onéreux voire inaccessibles pour certaines femmes

Interviewée par AFP Factuel, la psychologue clinicienne Erika Teissiere, qui a travaillé au sein d'équipes pluridisciplinaires en charge d'approuver ou non les demandes d'IMG, indique : «Les causes psycho-sociales peuvent être des troubles psychiatriques graves, des cas d’inceste ou de viol ayant mené à une grossesse, des cas de déficience intellectuelle ou des cas de précarité sociale grave.»

C’est bien cet amendement d'élargissement de la loi qui fait bondir les opposants et qui figure dans ce tweet. Ainsi, certains ont fait un raccourci en laissant croire que l’IVG serait dorénavant possible pour toutes les femmes jusqu’au neuvième mois. En réalité, c'est uniquement l'IMG qui est concernée par ce changement et dans un cas précis.

Ce projet de loi a donc pour but d’informer tout le corps obstétricien sur un critère d'intervention encore peu connu et d’uniformiser les pratiques autour de l'IMG.

Qu'est-ce que le projet de loi sur la bioéthique ?

Ce projet de loi fait suite à la législation sur la bioéthique adoptée le 7 juillet 2011, qui prévoyait une révision par le Parlement dans un délai maximal de sept ans. Les débats, qui examinent les aspects éthiques des avancées médicales et biologiques, ont pris du retard. 

L'élément clé du projet : l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes (notamment les femmes seules et les couples lesbiens). En toute logique, la législation sur la filiation a également été modifiée pour que les enfants de couples lesbiens puissent être reconnus par la mère qui n’a pas porté l’enfant. Dans le cadre d’une PMA avec un tiers donneur, l’accès aux origines a été élargi. Le donneur devra accepter de donner son identité pour que l’enfant y ait accès s’il le désire. Outre ces mesures, le projet de loi étend la possibilité de conservation des ovocytes, encadre la recherche sur les embryons et les cellules souches d’embryon, ou encore prévoit des dons de reins croisés en cas d'incompatibilité avec un proche. 

Le projet de loi déposé le 24 juillet 2019 avait été fortement modifié par le Sénat en première lecture. Celui-ci avait, entre autres, rejeté la possibilité de conservation des ovocytes, modifié le plan de filiation en privilégiant l’adoption pour la «seconde mère» et limité le remboursement de la PMA par la Sécurité sociale aux PMA à caractère médical. Le texte a de nouveau été remanié, plusieurs remarques du Sénat ayant été abandonnées. Par exemple, alors que le Sénat l’avait refusée, l’Assemblée nationale a voté en faveur de la technique de réception des ovocytes de la partenaire (Ropa)_, _qui autorise le don de gamètes entre deux femmes d'un même couple si l'une d'elle souffre d'infertilité.

La loi bioéthique a finalement été approuvée en dernière lecture par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021 à une très grande majorité : 326 voix pour, 115 contre et 42 abstentions. Elle doit être mise en application d’ici la fin de l’année 2021.

En bref

  • Le projet de loi sur la bioéthique a été adopté très largement en dernière lecture par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021. Il donne notamment accès à la PMA aux femmes seules et aux couples lesbiens. 
  • Ce projet de loi modifie également les règles qui encadrent l'intervention médicale de grossesse (IMG). Celle-ci était déjà autorisée jusqu'au neuvième mois uniquement sous certaines conditions, un nouvel amendement y intègre désormais de façon officielle la situation de détresse psycho-sociale.
  • Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français assure que l'IMG est déjà utilisée en ce sens sur le terrain, mais que l’écrire dans le projet de loi permettra d’uniformiser les pratiques. 
  • Les délais autorisés pour avoir recours à une IVG ou à une IMG restent inchangés.

Edit du 30 juin 2021 à 11 h 16 : L’article a été actualisé à la suite de l’annonce de l’adoption de la loi bioéthique par l’Assemblée nationale.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et à nuancer

Première apparition sur le web

Non renseigné

Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Twitter
Actions entreprises par les journalistes
  • Vérification de cette affirmation dans le projet de loi de bioéthique
  • Vérification des délais légaux pour pratiquer une IVG
  • Explication de la différence entre IMG et IVG et de l'amendement qui élargit les conditions d'accès à l'IMG. C'est bien cet amendement dont parle le tweet.
Pistes et conclusions

Il s'agit en relaite de l'interruption médicale de grossesse (IMG) et non de l'intervention volontaire de grossesse (IVG).

L'IMG est déjà autorisée dans certains cas liés à l'état de santé de la femme enceinte ou du bébé. Parmi ces critères, celui de détresse psycho-sociale était pour le moment parfois utilisé mais il n'était pas mentionné dans le texte de loi.

L'amendement dont il est question dans ce projet de loi ne fait qu'intégrer officiellement une pratique déjà utilisée, pour que l'ensemble du corps obstétricien prenne connaissance de ce critère de détresse psycho-sociale.

Equipe Journalistes Solidaires

Cypriane El-Chami

Sarah Poucet

© Journalistes Solidaires

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