Philippe Pétain, dans son bureau de vice-président du Conseil en mai 1940 © Wikimedia Commons.

La Police nationale a-t-elle été créée par Philippe Pétain ?

Dernière édition le 27 novembre 2020 à 22:47 - Relecture par Nelly Pailleux , correction par Sarah Djerioui , coordonné par Geoffrey Gavalda

C'est à nuancer

En bref

Un montage partagé sur Facebook par le syndicat InfoCom-CGT soutient que le maréchal Pétain est à l'origine de la création de la Police nationale le 23 avril 1941. Cette affirmation est à nuancer.

«La Police nationale ? C’est Pétain qui l’a créée...» affirme le syndicat InfoCom CGT dans un post publié sur sa page Facebook et partagé près de 300 fois. Pour appuyer son propos, le billet reproduit un extrait du Journal officiel de l’État français présentant la loi du 23 avril 1941, par laquelle le régime de Vichy établit une Police nationale.

Est-ce suffisant pour attribuer la paternité de la Police nationale au maréchal Pétain comme le soutient InfoCom-CGT ?

Jean-Marc Berlière, historien spécialiste de la police française interrogé par Journalistes Solidaires, nous aide à mettre en perspective la naissance de la Police nationale.

Selon lui, d’un point de vue juridique «il est réducteur de situer la création d’une Police nationale à la seule époque du régime de Vichy». La Police nationale, dans son organisation actuelle, s’est construite en deux temps. C’est effectivement d’abord sous Vichy, par la loi du 23 avril 1941, qu’une Police nationale est instituée. Mais la loi Frey du 9 juillet 1966, qui rattache la préfecture de police de Paris à la Police nationale constitue aussi une étape fondatrice.

La loi Frey de 1966 parachève ainsi un long processus d'étatisation des polices municipales, au cours duquel il est question notamment d'une prise en charge budgétaire de la fonction de police directement par le pouvoir central. L'idée d'une étatisation des polices remonte, elle, au XIXe siècle.

L’étatisation des polices sous la Troisième République

Historiquement en France, explique Jean-Marc Berlière «la police est municipale, le maire en est le chef, et les policiers, des employés de la ville». Une organisation qui, au XIXe siècle et depuis Napoléon, ne posait pas de problème car pendant le premier Empire «les maires étaient désignés par l’exécutif, [...] il n’y avait pas de risque pour le pouvoir central» à déléguer la fonction de police aux maires puisqu’ils pouvaient être_ «nommés, révoqués et contrôlés»_ par celui-ci.

Tout change sous la IIIe République avec la loi Goblet de 1882 qui prévoit la désignation des maires au suffrage universel (masculin, ndlr) Dès lors _«les maires échappent au pouvoir central. Ils deviennent des vrais chefs de police indépendants», _explique l'historien. Il se produit alors «une "poussiérisation" des polices avec la création de centaines de polices municipales pour toutes les villes de plus de 5 000 habitants». Et cela au détriment de la qualité des effectifs car _«comme les municipalités n’ont pas envie de dépenser trop d’argent [...] les policiers ne suivent pas de formation, sont mal payés et peu nombreux.» _ 

Pour améliorer leur efficacité, l’idée d’une nationalisation des polices – sur le modèle de ce qui a été fait à Lyon en 1851 – progresse alors tout au long de la IIIe République. Marseille, Nice, Toulon voient leur police municipale étatisées. En 1935, c’est au tour des villes d’Alsace-Lorraine, de Seine-et-Marne, de Seine-et-Oise et d’Algérie.

Jean-Marc Berlière confirme que, quand Pétain prend le pouvoir en 1941, «l'État français a la volonté, comme tous les états autoritaires et répressifs, de disposer d'un outil policier centralisé, pour appliquer les lois d'exception et de répression. Les polices de villes de plus de 10 000 habitants sont toutes étatisées. On étatise également certaines villes de moins de 10 000 habitants, pour lesquelles la police d'État paraît nécessaire, qui représentent par exemple un foyer permanent d'agitation ou d'opposition au gouvernement, en les regroupant dans des circonscriptions.» Seules Paris et sa préfecture de Police créée par Bonaparte échappent à cette étatisation, jusqu'en 1966.

La Police nationale conservée après Vichy

Après-guerre cependant, le gouvernement provisoire de De Gaulle, puis la IVe République, conserve cette structure de police héritée de 1941. Toujours selon l'historien des polices, elle est_ «jugée plus efficace que les polices morcelées. Très peu de maires ont souhaité reprendre le contrôle de leur police […] pour soulager les finances locales.»_

Pour Jean-Marc Berlière, il paraît donc difficile d’affirmer que la Police nationale est l’héritière du régime de Vichy, comme le suggère le post d’InfoCom-CGT. _«Jamais les communistes ne se sont offusqués [...] de l’unicité de la police. À ma connaissance, je n'ai pas le souvenir que les syndicats aient lutté contre la Police nationale et le fait qu'il y ait la même police partout.» _  

Nos recherches nous ont toutefois indiqué que lors de la présentation du texte sur l’«organisation de la police d’État» à l’Assemblée nationale en séance publique du 30 juin 1966, le groupe communiste représenté par M. Fernand Dupuy avait voté contre le projet de loi. Il y avait par ailleurs débat sur le nom à donner à cet organe : police d'État, ou Police nationale ? C'est finalement ce dernier qui sera conservé.

En bref

Le syndicat InfoCom-CGT déclare sur Facebook que la Police nationale a été fondée par le maréchal Pétain. En réalité, le projet d’une police étatisée remonte à la fin du XIXe siècle et s’achève en 1966. Si l’époque du régime de Vichy a bien marqué une étape importante dans sa constitution, l’État français de 1941 ne peut être considéré comme le seul géniteur de la Police nationale.

_Edit du 18/06 : l'article a été modifié suite à des précisions de Jean-Marc Berlière, pour des raisons de clarté. _

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et à nuancer

Première apparition sur le web
07 Jun 2020
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Facebook
Actions entreprises par les journalistes

9 juin :

  • Nous nous renseignons sur la genèse de la Police Nationale et authentifions le décret du 23 avril 1941. Nous cherchons le contact d'un historien spécialisé sur la question. 10 juin :
  • Nous interviewons Jean-Marc Berlière, chercheur spécialisé dans l'histoire de la police.
Pistes et conclusions

La Police Nationale a été officiellement créée par décret le 23 avril 1941. Le rattachement de la préfecture de police de Paris en 1966 donne la structure que nous connaissons actuellement.

Il y a déjà eu des projets d'étatisation de la police durant la Troisième République, qui n'ont jamais été concrétisés. Jusqu'alors les polices étaient municipales et dirigées par les maires. Certaines d'entre elles (Marseille, Lyon, Toulon...) ont cependant été étatisées avant 1941.

Equipe Journalistes Solidaires

Floréane Marinier

quang pham

© Journalistes Solidaires

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