Le Covid-19 cible-t-il notre système immunitaire ?
Dernière édition le 18 juillet 2020 à 21:23 - Relecture par Anne Smadja , correction par Alice Carel , coordonné par Tim Vinchon

C'est faux
En bref
Le Covid-19 s’attaquerait au système immunitaire, selon un tweet largement relayé aux États-Unis. Il causerait l’immunosuppression des lymphocytes T, des globules blancs essentiels à notre organisme. Le SARS-CoV-2 se comporterait donc comme le VIH. Mais l’étude chinoise sur laquelle repose cette affirmation, est-elle sérieuse ?
Le **SARS-CoV-2 **semblable au VIH ? C’est ce qu’a tenté de démontrer une étude chinoise intitulée «Le SARS-CoV-2 infecte les lymphocytes T via la fusion membranaire avec médiation de la protéine S (spike)», parue dans le journal en ligne Cellular and molecular immunology, le 7 avril 2020.
Un immuno-ingénieur et homme d’affaires américain, le docteur Jacob Glanville, la publie sur son compte Twitter deux jours plus tard, avec ce message : «Mauvaise nouvelle. J'exprimais mon inquiétude quant au nombre très faible de cellules T des patients atteints de Covid-19. Cette maladie présente de nombreuses caractéristiques d'immunosuppression.»
Well this is bad. Some weeks ago I voiced concerns that COVID-19 patients had very low T-cells. The disease had many features indicating immunosuppression (clearance failure, wide onset variation, demographics of disease, etc). https://t.co/hIbQAgO9qw
— Dr. Jacob Glanville (@CurlyJungleJake) April 9, 2020
Mais qui est Jacob Glanville?
Vous avez peut-être aperçu le docteur Jacob Glanville dans la série documentaire à succès de Netflix : Pandémie. Il y fait part de ses recherches pour trouver un vaccin efficace contre toutes les formes de grippe. Cet immuno-ingénieur a fondé en 2012 sa société privée, «Distributed Bio», spécialisée dans la technologie pharmaceutique Il obtient son doctorat en bio-informatique et immunologie à l'université de Stanford cinq ans plus tard.
Lors d’une apparition sur Fox News, le 19 mars dernier, il affirme pouvoir trouver un remède au Covid-19 en seulement trois à quatre semaines, grâce à des anticorps. Ses intentions peuvent être louables, mais le docteur Jacob Glanville a des intérêts économiques dans cette étude sur les lymphocytes T.
L'expérience n’a pas été réalisée sur des cellules T
Un immunologiste moléculaire, Leonardo Ferreira, alerte sur Twitter le 9 avril : «L'expérience n'utilise pas de cellules T mais des cellules issues de lignées. De plus, elle a été mal analysée.»
Afin de démêler le vrai du faux et de faire la lumière sur cette étude, Journalistes Solidaires a fait le point avec le professeur Guy Gorochov, docteur en immunologie et immunopathologie à** l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière** de Paris et chef d'équipe au Centre d'immunologie et d'infectiologie. Nous avons également pris contact avec le docteur Nicolas Noël, maître de conférences, praticien hospitalier (MCU-PH) en médecine interne et en immunologie au CHU du Kremlin-Bicêtre, université Paris-Saclay.
L’expérience n’a pas été réalisée sur des cellules T mais sur des cellules de lignées. Ce sont des cellules clonées en laboratoire à des fins de tests. Il ne s’agit ni de cellules T, ni de cellules humaines. Seulement une sorte de cellules cobayes.
De plus, ce phénomène a été observé in vitro, c'est-à-dire en dehors du contexte naturel de l'organisme. **L’infection des cellules T par le SARS-CoV-2 a été provoquée. **Elle n’est pas représentative de l’évolution de l’infection dans le corps humain.
Une série d’expériences complémentaires est nécessaire pour corroborer, ou non, une étude de laboratoire menée sur des cellules de lignées. Un phénomène doit être observé plus d'une fois en conditions réelles ; c'est l’un des principes fondamentaux de la science. Jusqu'à présent, aucune étude n'a mis en évidence une preuve d'infection des cellules T dans le corps de patients atteints de Covid-19.
Un graphique illisible
Bien que ce graphique soit destiné à montrer l'infection des cellules T par le SARS-CoV-2, aucune interprétation rigoureuse ne peut en être faite. Les cellules infectées ne peuvent pas être distinguées des cellules non infectées. Seul un groupe de cellules (petits points) est visible, qui se ressemblent toutes. La conclusion de cette manipulation : soit toutes les cellules sont infectées, soit rien n'est infecté.
Il n'y a pas d'immunosuppression
COVID attacks your immune system
— Dr. Jacob Glanville (@CurlyJungleJake) April 9, 2020
Sur Twitter, un des commentaires du docteur Jacob Glanville fait réagir : «Le Covid-19 attaque le système immunitaire».
Les internautes font immédiatement le rapprochement avec le Sida. Le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) cible directement les cellules du système immunitaire. Cette caractéristique en fait une maladie terriblement meurtrière. Pourtant, comme l’indique la conclusion de l’étude en question, le SARS-CoV-2 ne cause pas l’apoptose (la mort) des lymphocytes T après avoir été en contact forcé avec eux. Contrairement à ce que laisse présager le titre de l’étude et aux dires du docteur Jacob Glanville, il n’y a pas de phénomène d'immunosuppression des lymphocytes T.
Pourquoi le taux de lymphocytes T est-il très faible chez certains patients ?
Lorsque l’organisme alerte sur la présence d’un virus, certains globules blancs sont activés pour lutter contre, puis meurent. Ils se régénèrent ensuite mais le corps reste fragile un temps, même après la maladie. C’est le fonctionnement **habituel **de notre système immunitaire. Ce phénomène est le même pour toutes les maladies virales et n’est pas spécifique au Covid-19.
Le faible taux de lymphocytes T peut aussi être expliqué par les «tempêtes de cytokines». Il s'agit d'une réaction inflammatoire provoquée par le Covid-19. Le mécanisme de reconnaissance du système immunitaire panique après avoir été alerté de la présence du virus. Il active des globules blancs en excès. Une réaction inflammatoire se déclenche ensuite dans l'organisme et peut entraîner le décès du patient atteint de Covid-19. La perte des globules blancs est causée par le dysfonctionnement du système immunitaire, non par le virus. De nombreuses études en cours se penchent sur la raison d’une telle réaction.
Nature ou pas Nature ?
La question de la **responsabilité **de la revue Nature se pose. «Comme c'est publié dans Nature, les gens le croiront», déclare un internaute.
Nature est une revue scientifique de premier plan, qui appartient au groupe du même nom. Le site nature.com détient de nombreuses revues scientifiques, dont le journal à l’origine de la publication de l’étude, Cellular and molecular immunology. Son site est hébergé par nature.com, mais l’expérience a été publiée par Cellular and Molecular Immunology et non par Nature.
Enfin, une étude met au minimum entre trois et six semaines avant d’être acceptée. Elle passe en «review» devant un comité de pairs. Ils l’étudient, puis la renvoient pour des corrections, mineures, majeures, ou la rejettent. Or, il est indiqué que celle-ci a été reçue le 21 mars 2020 et validée le 24 mars 2020. Soit un délai de trois jours. Nous avons même découvert dans ce même journal une autre étude publiée en moins d’une journée.
Ces deux études ont en commun un coauteur, Zhigang Tian, qui n’est autre que… le rédacteur en chef de Cellular and Molecular Immunology. Contacté par Journalistes Solidaires, le journal en ligne assure enquêter de son côté et nous tenir au courant. Le 10 juillet, le journal a rétracté l'étude.
It is definitely poorly analyzed with a broad claim as the title. Yet people will believe since it is in @nature
— Eric T Weimer, PhD (@ericweimer) April 9, 2020
En bref
Le docteur Jacob Glanville, un immuno-ingénieur américain, relaie une étude chinoise le 9 avril 2020 sur Twitter. Elle sera partagée plus de 1 400 fois.
Cette étude tend à prouver que le comportement du virus à l'origine du Covid-19 serait similaire à celui du virus du Sida car il s'attaquerait à notre système immunitaire.
Plusieurs experts remettent en cause cette étude et expliquent notamment qu'il ne faut pas confondre «pénétration» et «infection» des lymphocytes T.
Nous avions contacté la revue médicale, qui affirmait enquêter de son côté. L'étude en question a été rétractée le 10 juillet 2020.
EDIT du 18 juillet : Ajout de la vidéo, mention de la rétractation de l'étude chinoise, ajout de l'encadré «En bref» et changements de mise en page.
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et fausse
Première apparition sur le web
Non renseigné
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Actions entreprises par les journalistes
Nous avons vérifié l'affirmation de Jacob Glanville.
Nous avons vérifié l'étude en question.
Nous avons interviewé différents immunologistes/immunologues.
Nous avons écrit au groupe "nature.com" pour avoir plus d'informations quant au timing de validation de cette étude.Ils nous ont répondu qu'ils reviendraient vers nous avec plus d'informations prochainement.
Nous avons découvert que l'un des co-auteurs est également le rédacteur en chef de la revue.
Nous avons découvert que le même co-auteur, également rédacteur en chef, était également responsable d'une étude publiée en une journée.
Pistes et conclusions
Cette étude est peu relayée en France mais est très partagée sur les réseaux sociaux américains. Notamment par Dr Jacob Glanville. Un Immunol-ingénieur et homme d'affaire américain qui multiplie les apparitions médiatisées. Cet homme a un intérêt économique à cette étude. Il a une société privée qui travaille sur un remède au COV19, s'appuyant sur le système immunitaire.
Cette étude menée par des chercheurs chinois est remise en cause. Mais selon un immunologique molécualaire américain, Leonardo Ferreira, elle aurait été mal analysée et elle ne serait pas rigoureuse. Nous avons fait le point avec deux autres immunologistes.
Son enjeu : trouver des similitudes entre le SIDA, qui provoque une immunosuppression, et le SRAS-CoV-2. Cependant, les globules blancs après avoir été en contact avec le virus ne meurent pas. Il n'y a pas d'immunosuppression.
L'étude chinoise a bien été validée officiellement. Le délai de trois jours suscite des questionnements car il faut à minima 3 à 6 semaines pour q'un comité de pairs la "review" (passe en revue). Ils apportent ensuite des corrections majeures, mineures, ou rejettent. Contacté par JS, le groupe nature doit revenir vers nous pour plus d'explications.
Cette étude n'a pas été publiée par "nature.com" mais par "Cellular & Molecular immunology" qui appartient au groupe "nature.com". Ces deux revues n'ont pas la même renommées. Mais cela explique pourquoi l'adresse du site "cellular and molecular immunology" est hébergée sur "nature.com".
Nous avons découvert que l'un des co-auteurs est également le rédacteur en chef de la revue. Nous avons découvert que le même co-auteur, également rédacteur en chef, était également responsable d'une étude publiée en une journée.