Avec près de 2 millions de personnes supplémentaires infectées au VIH et 38 millions de personnes séropositives en 2019 dans le monde, le Sida est loin d'avoir disparu. / Crédits : © Vincent Isoré via Sidaction

Le Sida a-t-il «disparu ou presque» sans vaccin ?

Dernière édition le 15 mars 2021 à 18:38 - Relecture par Claire Guérou , correction par Cosima Mezidi Alem , coordonné par Jérôme Mégie

C'est faux

En bref

Fin novembre 2020, André Bercoff clamait en direct sur LCI que le Sida aurait disparu sans qu'un vaccin contre le VIH ait été trouvé. Si l’éditorialiste est revenu sur ses propos, Journalistes Solidaires rappelle la réalité de cette épidémie.

Dans un tweet en date du 24 novembre 2020, le Sidaction, association française de lutte contre le Sida, reprend un extrait vidéo visionné plus de 141 000 fois depuis. Il s’agit d’une intervention télévisée d’André Bercoff, éditorialiste à LCI et Sud Radio. «Vous vous rappelez le virus du Sida ? Ça vous dit quelque chose, quand même ? On n’a jamais trouvé un vaccin au Sida. Et le Sida, il a disparu ou presque», avance-t-il. L'éditorialiste est alors invité de l’émission 24h Pujadas, diffusée le lundi 23 novembre 2020 sur LCI.

Capture d'écran du tweet des Grandes gueules
Capture d'écran du tweet des Grandes gueules

L’intervention de Bercoff se situe à 39 minutes et 32 secondes du début de l’émission, disponible en replay. L’éditorialiste rebondit sur un précédent reportage concernant un possible nouveau variant du Covid-19, transmissible par les visons, contre lequel les vaccins pourraient ne pas être efficaces. En réponse, le docteur Martin Blachier, autre invité de l’émission, répond que trouver un vaccin pour lutter contre le Sida serait «extrêmement complexe», qu’il y aurait eu «des essais prometteurs, en particulier chez l’animal. Ça n'a jamais été efficace chez l’homme et il y a des gens qui continuent de chercher, d’ailleurs». Et David Pujadas de mentionner une «nature du virus beaucoup plus complexe» en ce qui concerne le VIH. 

Depuis le tweet du Sidaction, André Bercoff s’est exprimé dans les commentaires et dans un tweet sur son profil, où il reconnaît que sa «phrase sur la disparition - ou presque - du VIH était rapide et maladroite»

Les chiffres du Sida

Comme rappelé sur le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Syndrome d’immunodéficience acquise (Sida) est le dernier stade de l’infection au Virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Asymptomatique d’abord, une personne infectée au VIH (ou «séropositive») voit son système immunitaire s’affaiblir progressivement en l’absence de traitement. L’infection à ce virus est considérée comme étant une pathologie chronique, soit une maladie de longue durée et évoluant dans le temps.

D’après les dernières statistiques sur l’épidémie de Sida publiées le 26 novembre 2020 par l’Onusida_ _(le programme commun de l'Organisation des nations unies sur le Sida créé en 1996), environ 38 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde en 2019.

La même année, près de **1,7 million de personnes ont été infectées **dans le monde. D’après Santé publique France pour l’année 2018, 6 200 personnes ont découvert leur séropositivité au VIH en France, «dont 56 % ont été contaminées par rapports hétérosexuels, 40 % lors de rapports sexuels entre hommes, et 2 % par usage de drogues injectables»

Nombre de sérologies VIH et taux de positivité en France entre 2012 et 2019. Source : Santé publique France, LaboVIH 2019. Données corrigées.
Nombre de sérologies VIH et taux de positivité en France entre 2012 et 2019. Source : Santé publique France, LaboVIH 2019. Données corrigées.

«C’est pour ça qu’il s’agit d’une épidémie active : de nouveaux cas sont détectés tous les ans», déplore Serawit Bruck-Landais, directrice du pôle qualité et recherche en santé du Sidaction, interviewée par Journalistes Solidaires. Elle poursuit : «Et on estime que 26 % des cas.) sont détectés trop tard : soit ils ont développé la maladie, soit ils ont des complications, avec un système immunitaire très affaibli.»

Depuis les premiers cas détectés en 1981, le Sida aurait causé environ **33 millions de décès **à l’échelle mondiale. Rien que pour l’année 2019, entre 500 000 et 970 000 personnes sont décédées de maladies liées au Sida dans le monde.

Toujours active, l’épidémie de Sida ne doit donc pas être minimisée, comme le rappelle Serawit Bruck-Landais en réaction aux propos d’André Bercoff : «C'est maladroit, cela envoie des messages qui ne sont pas tout à fait réels et qui pourraient encourager les gens à baisser leur garde, parce qu'on n'en mourrait pas, comme si ce n’était pas un souci de santé publique.»

VIH, Sars-CoV-2 : quelles différences pour trouver un vaccin ?

Face à cette réalité épidémique d'envergure depuis les années 1980, comment comprendre qu’un vaccin n’ait toujours pas été trouvé contre le VIH, alors qu’il n’a fallu que quelques mois pour le Sars-CoV-2, responsable de l’épidémie de Covid-19 ? Plusieurs spécificités du VIH expliquent sa différence et la difficulté de trouver remède et vaccin.

Avant toute chose, le VIH est un rétrovirus, le Sars-CoV-2 un coronavirus : ils ne suivent donc pas les mêmes mécaniques virales. Serawit Bruck-Landais explique : «La particularité [du VIH, un rétrovirus] est qu’il s’intègre dans le génome et échappe au traitement en constituant des réservoirs, ces cellules où il reste dormant.» Par ailleurs, le système immunitaire d’une personne infectée ne parvient pas à éliminer le VIH. «Moins d'1 % des personnes infectées arrive à développer des anticorps neutralisants», énonce la chercheuse. Autre spécificité du VIH : sa très forte propension à muter, bien supérieure à celle du Sars-CoV-2. «C’est une véritable course pour essayer d’avoir un pas d’avance sur un virus qui mute...», résume-t-elle.

À l’inverse, d’après Serawit Bruck-Landais, 85 % des personnes infectées au Sars-CoV-2 l’élimineraient d'elles-mêmes (par immunité naturelle), sans développer de maladies graves. Le Sars-CoV-2 n’emploie pas les cellules qu’il infecte pour se multiplier (comme le fait le VIH), il n’y a pas de phénomène d’immunodépression. Par ailleurs, l’organisme humain est capable de développer une immunité durable qui pourrait aller jusqu’à huit mois. L’enjeu du vaccin contre le Sars-CoV-2 est donc de stimuler la production des anticorps contre le virus pour que les individus puissent se défendre, et l'éliminer de leur organisme - ce qui est encore impossible pour le VIH. 

Le professeur Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d'Immunologie clinique au CHU Henri Mondor à Créteil, et responsable de la recherche clinique au sein du Vaccine Research Institute au sein du CHU le rappelle à un journaliste d'AFP Factuel : «Si le VIH était inconnu et quelque peu inédit lors de sa découverte, il n’en est rien pour le Sars-CoV-2». D’après lui, le virus responsable de la pandémie de Covid-19 «n'est pas très différent du Mers-Cov et du Sars-Cov-1. [...] D'un point de vue vaccinologique, on était dans un monde idéal, parce que c'est un nouveau virus, mais très proche de l'autre, sur lequel on avait toutes les connaissances».

Enfin, pour Serawit Bruck-Landais, la quantité d’études réalisées pour mieux comprendre le VIH joue également un rôle : «[La recherche du vaccin contre le VIH] a permis de développer des stratégies et des approches technologiquement très avancées et très différentes de ce qu’on savait faire auparavant (pour développer le vaccin de la grippe ou de la rougeole par exemple). Parce que le développement du vaccin du VIH est tellement compliqué qu’on est allé creuser pour comprendre pourquoi on n’arrive pas à immuniser les personnes._ _[...] Les différentes technologies utilisées pour le vaccin du Sars-CoV-2 sont effectivement exceptionnelles ! Cela souligne que la recherche, qui se fait bien en amont, en anticipant toute épidémie, est importante à financer et à soutenir parce que c'est ce qui permet de bien pouvoir l'utiliser quand le moment arrive»

La recherche contre le VIH constitue un enjeu mondial, qui a poussé les États à s’investir. En 2002, le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme est mis en place. Tous les trois ans, plus de 80 pays contribuent à débloquer un budget alloué à la recherche à l’occasion de la Conférence de restitution de ce fonds. Lors de la dernière édition en novembre 2019 à Lyon, en France, 14 milliards de dollars (12,8 milliards d’euros) ont été levés pour la période 2020-2022. 

Par comparaison, entre autres financements, 7,4 milliards d'euros ont été levés en mai 2020, grâce à un téléthon mondial organisé par l'Union européenne pour financer la recherche d'un vaccin contre le Covid-19. Depuis janvier 2020, la Commission européenne dit avoir «mobilisé plus de 660 millions d'euros [...] pour mettre au point des vaccins, de nouveaux traitements, des tests de diagnostic et des dispositifs médicaux visant à empêcher la propagation du coronavirus». De son côté, la Banque européenne d’investissement a accordé à BioNTech un financement par l’emprunt de 100 millions d’euros.

Vivre avec le VIH : des traitements existent

Le VIH est transmis par le sang, le lait maternel, le sperme ou les sécrétions vaginales. Une fois dans l’organisme, le virus s’attaque aux cellules du système immunitaire, en particulier les lymphocytes T CD4 qui protègent le corps contre maladies et infections. Entré dans ces cellules, le VIH y injecte son patrimoine génétique (soit son ARN, ou Acide ribo-nucléique) et forme des réservoirs de virus latents. Ainsi multiplié, le VIH continue d’infecter d’autres cellules. La charge virale augmente alors inexorablement, tandis que le nombre de cellules CD4 non infectées se réduit. L’organisme, ainsi fragilisé, peut être la cible de maladies opportunistes. C’est alors que la personne est considérée comme malade du Sida. 

Si ni le VIH ni sa complication (le Sida) n’ont disparu, il est pourtant possible de vivre avec la maladie, sous réserve de suivre un **traitement dit «antirétroviral», **généralement **quotidien **et à prendre à vie. C’est le cas de la **trithérapie **par exemple, dont l’objectif est de bloquer la multiplication du VIH dans l’organisme. Sous traitement, la charge virale baisse et la personne séropositive n’est plus contagieuse. Elle peut également conserver une espérance de vie comparable à celle de personnes non infectées. Enfin, des thérapies allégées sont à l’étude, pour faciliter le quotidien des personnes séropositives, en prenant des doses moins importantes par exemple, ou en testant des modes injectables.

Notons également que les personnes séronégatives à fort risque d’être infectées au VIH peuvent choisir de prendre un autre antirétroviral, la PrEP (ou Prophylaxie pré-exposition). Sa prise peut se faire en continu sur une période donnée, ou de manière spontanée avant une prise de risque (rapport sexuel non protégé, ignorance du statut VIH d'un ou d'une partenaire, incapacité d'utiliser un préservatif ou partage du matériel d'injection en cas de consommation de drogues injectables par exemple.)

Cependant, ces traitements ne sont pas accessibles partout. D’après l’Onusida, environ 26 millions des personnes vivant avec le VIH avaient accès au traitement antirétroviral fin juin 2020, contre 25,4 millions en 2019. Mais, cette année-là, seules 68 % des personnes de plus de 15 ans et 53 % des enfants vivant avec le VIH avaient accès à ce traitement. 

Et, outre les difficultés liées au soin, d’autres facteurs socio-économiques entrent en compte. «Des personnes qui vivent avec le VIH sont parfois écartées de leur travail, sont stigmatisées – donc elles n'ont pas la vie simple non plus», regrette Serawit Bruck-Landais.

En 2005 déjà, l’Onusida alertait sur les «stigmatisation, discrimination et violations des droits de l’homme associées au VIH», rappelant la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida signée en 2001. Celle-ci demande de prendre des mesures, à l’échelle nationale et mondiale, pour «éliminer toute forme de discrimination contre les personnes atteintes du VIH/sida»

Pourquoi chercher un vaccin contre le VIH alors que des traitements existent ?

Journalistes Solidaires a posé la question à Serawit Bruck-Landais. Pour la directrice, un vaccin est non seulement efficace sur la période de prise de risque, mais il s'agit d'une protection de longue durée, voire même à vie. Elle souligne également qu’une fois commercialisé, le vaccin coûterait **moins cher **que les traitements à administrer annuellement aux personnes vivant avec le VIH. Enfin, le vaccin est une promesse pour l’avenir : si toutes les personnes séropositives sont sous traitement, et que les personnes séronégatives sont vaccinées, l’épidémie de VIH pourrait prendre fin dans quelques années. «Mais on n'en est pas encore sortis», conclue-t-elle. 

En bref

  • D’après l’Onusida, environ 38 millions de personnes vivaient encore avec le VIH dans le monde en 2019 et 1,7 million de personnes avaient été nouvellement infectées. L’épidémie est donc toujours bien active.
  • Même si des traitements existent pour vivre avec le VIH, 33 millions de personnes seraient décédées des suites de maladies liées au Sida à l’échelle mondiale depuis le début de l’épidémie, dont entre 500 000 et 970 000 rien que pour l’année 2019.
  • De nombreux facteurs expliquent la rapidité de la recherche à trouver un vaccin contre le Sars-CoV-2 contrairement à celui contre le VIH : la capacité de l’organisme humain à développer une immunité naturelle pour le premier, le nombre limité de formes mutantes du Sars-CoV-2, l’existence d’un virus similaire qui a enclenché les travaux de recherche par le passé… 
  • La recherche se poursuit pour trouver un vaccin contre le VIH, et améliorer les traitements des personnes séropositives. Mais pour le moment, l’éradication du virus et par delà, de la maladie du Sida, semble encore lointaine.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et fausse

Première apparition sur le web

Non renseigné

Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté

Non renseigné

Actions entreprises par les journalistes
  • Contacter le Sidaction pour demander des informations ainsi qu'une réaction à ces déclarations
  • Interview de Serawit Bruck-Landais, directrice du pôle qualité et recherche en santé du sidaction
Pistes et conclusions
  • D’après l’Onusida, environ 38 millions de personnes vivaient encore avec le VIH dans le monde en 2019 et 1,7 millions de personnes ont été nouvellement infectées. L’épidémie est donc toujours bien toujours active.
  • Même si des traitements existent pour vivre avec le VIH, 33 millions de personnes seraient décédées des suites de maladies liées au sida à l’échelle mondiale depuis le début de l’épidémie, dont entre 500 000 et 970 000 rien que pour l’année 2019.
  • De nombreux facteurs expliquent la rapidité de la recherche à trouver un vaccin contre le Sars-CoV-2 contrairement à celui contre le VIH : la capacité de l’organisme humain à développer une immunité naturel pour le premier, le nombre limité de formes mutantes du Sars-CoV-2, l’existence d’un virus similaire qui a enclenché les travaux de recherche par le passé… 
  • La recherche se poursuit pour trouver le vaccin contre le VIH et améliorer les traitements des personnes séropositives. Mais pour le moment, l’éradication du virus et de sa complication le sida semble encore lointaine.
Equipe Journalistes Solidaires

Cypriane El-Chami

Mathilde Mazy

Letty Bidivanu

© Journalistes Solidaires

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