Les «magouilles sanitaires» dénoncées par un site d'extrême droite sont-elles avérées ?
Dernière édition le 30 mai 2020 à 21:57 - Relecture par Anne Smadja , correction par Cypriane El-Chami , coordonné par Lina Fourneau

C'est faux
En bref
Publié par le site d'extrême droite Démocratie participative, un prétendu «témoignage de médecin urgentiste» accuse le gouvernement de «magouilles sanitaires». Mais ces allégations sont infondées.
Le 8 avril, le site d'extrême droite Démocratie participative diffuse dans son émission hebdomadaire le prétendu témoignage d'un médecin urgentiste. Publié sous forme de texte sur le forum annexe Europe écologie les Bruns (EELB), il est ensuite partagé en vidéo, sous le titre «Boris Le Lay avoue les magouilles du Covid-19» sur la chaîne YouTube «Souvenir français - les Gilets jaunes du Jura 39». Tandis que le texte écrit affirme dès ses premières lignes que «les hôpitaux répondent tous aux ordres de la république juive»_, cette _affirmation antisémite n'apparaît ni dans les versions partagées sur Facebook, ni lors de sa lecture dans la vidéo.
À l'heure où nous écrivons cet article, la vidéo cumule 473 851 vues sur Youtube. Elle est illustrée par des images de reportages qui n'ont aucun lien avec le texte : un reportage de France 3 Régions sur les travailleurs de nuit datant de mars 2017, et un autre de BFM TV sur les morts en Ehpad, publié en avril 2020. On y retrouve également une photo de cercueils qui a déjà fait l'objet d'un article démontrant son absence de lien avec le Covid-19, puisqu'il s'agit de cercueils de migrants africains naufragés en 2013.
Nous avons tenté de retrouver l'auteur de ce texte en suivant les différentes publications Facebook. L'une d'entre elles mentionnait le nom de Jacques Gwinner, un médecin généraliste qui se définit comme médecin «holistique» (qui pratique une médecine alternative prenant le patient dans sa globalité). Dans un post Facebook, il dément être à l'origine de ce texte, tout en le qualifiant de «témoignage plein de bon sens».
Boris Le Lay et Démocratie participative
Boris Le Lay est une figure de l'extrême droite française. Militant nationaliste breton, il a été plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale et a fait l'objet d'une notice rouge d'Interpol. Il est aujourd'hui réfugié au Japon.
Boris Le Lay est aussi soupçonné d'avoir fondé le site Démocratie participative, lequel a déjà été bloqué par la justice française. Il est cependant toujours accessible, car hébergé au Panama selon WhoIs. Le forum de sa communauté, intitulé Europe écologie les Bruns, est quant à lui hébergé en Russie et a été créé en février 2020.
Un panel d'affirmations trompeuses
Faute d'avoir pu identifier l'auteur du texte, nous nous sommes attelés à vérifier ce mille-feuilles d'allégations. Pour ce faire, nous avons contacté **Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France **et délégué national de la CGT Santé. Ce dernier a répondu point par point aux arguments [dans les encadrés bleus, ndlr] du prétendu médecin urgentiste.
Christophe Prudhomme : «Cette vidéo avance l'argument de nombreux lits vides, mais pourquoi y en avait-il ? Parce qu'on a concentré le personnel là où les besoins étaient les plus criants. Vous pouvez ouvrir un lit en tant que tel, mais s'il n'y a pas de personnel derrière, ça ne sert à rien.»
C.P. : «Il est clair que ces patients n'étaient pas pris en réanimation de manière prioritaire. Leur prise en charge était retardée. Parce qu'eux-mêmes n'appelaient pas, par peur de venir à l'hôpital, mais aussi parce que le système de santé était tourné uniquement vers les malades du Covid-19. Or, nous savons que cela peut mener à un taux de surmortalité des patients allant jusqu'à 30 %. Les syndicats dénoncent [cette situation] depuis des années. »
C.P. : «[Malgré la pandémie], les opérations ont quand même été maintenues. Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'épidémie n'a touché que quatre régions de manière très forte. Heureusement, la vague ne s'est pas propagée ailleurs en France. Néanmoins, la France a pu connaître une surmortalité car les patients avec des pathologies chroniques n'ont pas eu le suivi adapté.»
C.P. : «Du fait de l'incurie des gestionnaires des maisons de retraite privées, il y a une suspicion légitime sur le fait qu'un certain nombre de personnes âgées n'auraient pas été prises en charge à l'hôpital et qu'on les aurait incluses dans des protocoles de fin de vie. Ce n'est pas la réalité : je gère des protocoles de fin de vie dans les Ehpad, qui sont le résultat d'une décision collégiale. On essaye de faire au mieux pour accompagner une personne en fin de vie dans son environnement avec ses proches.»
C.P. : «En ville, les médecins étaient en grande difficulté pour assurer leur activité, parce qu'ils n'avaient pas de moyen de protection et que leurs cabinets ne sont pas adaptés pour accueillir des patients en respectant les gestes barrières. Un problème dénoncé notamment par le Conseil de l'Ordre des médecins.»
EN BREF
Les propos rapportés dans la vidéo sont donc soit une interprétation tendancieuse de réalités qui s'expliquent de façon rationnelle, soit faux. Il ne s'agit pas de «magouilles sanitaires» fomentées par le gouvernement dans le cadre de la pandémie.
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et fausse
Première apparition sur le web
21 Apr 2020
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:48
Lieu de publication constaté
Actions entreprises par les journalistes
Plusieurs arguments énoncés dans la vidéo :
- La totalité des hôpitaux publics et privés sont vides.
- Les pathologies sont reléguées au second et au troisième plan. Toutes les chirurgies et opérations de personnes qui ont réellement besoin de soins sont déprogrammées. Pas la prise en charge nécessaire.
- La totalité des médecins généralistes et spécialistes ferme leurs cabinets. Tous au chômage technique.
- Où sont passés les patients habituels ?
- Exemple de l'embolie pulmonaire après avoir appelé le 15 qui lui a dit de rester chez lui puisque symptômes soit-disant similaires au Covid-19.
- A l'entrée d'une unité Covid, étiquetage entre moins de 70 ans (réanimables) sinon LATA (limitation et arrêt des thérapies actives). Ce sont des unités de surveillance où il ne se passe rien.
- Les LATA sont comptabilisés comme des victimes des Covid mais sont en fait victimes des médecins français, car pas soignés mais placés en soins palliatifs
Pistes et conclusions
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Le message du "médecin réanimateur" semble provenir d'une émission diffusée par Démocratie participative, potentiellement administrée par Boris Le Lay. Ce blogueur nationaliste a été condamné plusieurs fois pour incitation à la haine.
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Le texte est aussi relayée par un blog "NS2017" qui indique la signature de ce docteur. Il s'agirait de Jacques Gwinner. Sur son site, l'Esprit des fleurs, il se définit "devenu médecin malgré moi". Il se prétend aujourd'hui naturopathe. Sur un post facebook, il témoigne que ce n'est pas lui l'auteur.
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Le site de DP est assez inaccessible sauf par navigation privée.
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Les traces numérique de Boris Le Lay et de DP restent très limitées. D'ailleurs, ce 19 avril, Boris Le Lay (qui comptait 135 000 fans) a été suspendu.
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Nous contactons le Syndicat français des médecins urgentistes qui contredisent ce texte, qui selon eux n'a rien de semblable à la réalité.
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Christophe Prudhomme, son porte-parole, témoigne bien qu'il s'agit de fausses informations. En effet, les hôpitaux ne sont pas vides et les traitements nécessaires continuent à être données pour les maladies chroniques, même si un ralentissement des soins a été remarqué. Pour l'argument des lits vides, notre interlocuteur souligne qu'il s'agit avant tout d'un manque de personnels ne permettant pas d'ouvrir plus de lits.