Ce décret ne contredit pas la loi, il la complète.

Masque obligatoire : un décret contraire à la loi ?

Dernière édition le 15 septembre 2020 à 12:05 - Relecture par Claire Guérou , correction par Anne Smadja , coordonné par Geoffrey Gavalda

C'est faux

En bref

Face à la recrudescence du nombre de cas de Covid-19 en France, l'obligation de porter un masque dans l'espace public se généralise. Une décision dont un internaute interroge la validité juridique.

Dans une publication Facebook en date du 21 juillet 2020, un internaute partage une vidéo d’une durée de 13 minutes 2 secondes. Visualisée plus de 498 000 fois, la vidéo comptabilise plus de 9 700 partages, près de 4 000 réactions et 749 commentaires. La vidéo semble avoir été prise par un homme dénommé «Fred Tahar Varran», qui l’a ensuite publiée sur son compte Facebook personnel.

À partir d’éléments de la vidéo, ainsi que de renseignements indiqués par l’internaute sur d’autres posts Facebook, Journalistes Solidaires a identifié que la vidéo a été tournée dans la ville de Quissac (dans le Gard), avenue du 11 novembre. L’homme, qui se présente dans la vidéo comme Frédéric Tahar «de la famille des Khadraoui», interpelle trois gendarmes et filme leur échange. 

Il explique qu’un gérant de tabac aurait refusé de le servir parce qu’il ne portait pas de masque et demande à déposer une plainte, invoquant «l’article L121-11» du Code de la consommation (qui interdit le fait de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime). D’après Frédéric Khadraoui, le motif avancé par le commerçant pour refuser de le servir ne serait pas légitime. Il se justifie ainsi : «Je ne veux pas me mettre hors-la-loi. Il y a une loi qui stipule que je ne dois pas dissimuler mon visage dans les lieux publics.» L’un des représentants de l’ordre objecte alors qu’un décret a été publié lui demandant de porter un masque de protection dans le commerce en question.

Le Quissacois rétorque : «Un décret n’abroge pas une loi, monsieur. Pyramide des normes.» La loi primant sur le décret, il n’aurait donc pas le droit de dissimuler son visage dans un lieu public. 

L’éclairage du juriste

Le texte invoqué par l’homme est la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

Les gendarmes rappellent pour leur part le décret n°2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé.

Pour savoir comment interpréter ces textes, Journalistes Solidaires a interrogé Me Benjamin Cottet Emard, avocat compétent dans le domaine du droit constitutionnel et chargé d’enseignement à l’université Jean Moulin (Lyon III) ainsi qu’à l’École nationale des travaux publics de l'État (ENTPE).

D’après lui, à la lecture des deux premiers articles de la loi du 11 octobre 2010, la situation est en fait assez claire.

Ce que dit la loi

L’article 1 de la loi pose un principe d’interdiction :

Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.

L’article 2-I de cette loi précise les conditions d’application de l’interdiction : 

«I. ― Pour l'application de l'article 1er, l'espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.» 

Autrement dit, l’interdiction s’applique dans la rue, dans les gares, dans les postes, à la boulangerie, au bar tabac, au cinéma, etc. sauf dans les espaces privés.

L’article 2-II précise les exceptions à cette interdiction :

«II. ― L'interdiction prévue à l'article 1er ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.»

Autrement dit, cet article prévoit expressément que la dissimulation (partielle ou totale) du visage n’est pas interdite si la tenue est prescrite par des dispositions réglementaires (comme c’est le cas pour ce décret) et qu’elle est notamment justifiée par des raisons de santé.

Ce que dit le décret

Le décret du 10 juillet 2020, dans sa version consolidée au 19 août 2020, prévoit l’obligation de porter un masque :

  • dans les navires ou les bateaux (article 8)
  • dans les aéroports et les avions (article 11)
  • dans les bus, les trains, les tramways, le métro, etc. (article 15)
  • dans les ERP de type L, X, PA, CTS, V, Y, S, M, c’est-à-dire, les musées, les bibliothèques, les salles de sport, les magasins, les restaurants, etc. (articles 27, 38, 44, 45, 47)
  • dans les écoles (article 36)
  • dans les marchés couverts (article 38).

Dans le cas où une personne se trouve dans un lieu spécifié dans le décret, le masque est considéré comme une tenue prescrite par disposition réglementaire et justifiée par des raisons de santé.

Loi, décret : quel lien entre ces textes juridiques ?

La loi du 11 octobre 2010 fixe un cadre **législatif **à la non-dissimulation du visage, avec des règles générales d’application et d’exception. Ce dispositif n’est pas censé évoluer régulièrement car il nécessite à chaque fois des débats et des votes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le décret du 10 juillet 2020 fixe un cadre réglementaire,** **plus rapide et plus souple mais limité par les cadres législatifs déjà en place. Il ne doit pas aller à leur encontre mais s’inscrire dans leur continuité.

En résumé : la réglementation (dont les décrets font partie) complète et précise la législation. Ce principe juridique est appelé «hiérarchie des normes» (voir l'encadré : Pour en savoir plus).

Comment s’applique ce décret ?

Les articles 1, 3, 6, 13, 17, 24, 29, 30, 37, 38, 41, 46, 47, 48, 50 et 51 du décret du 10 juillet 2020 laissent aux préfets (ou Hauts-commissaires de la République en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française) une grande liberté dans les conditions de prescription du port du masque.

Conséquence : l'application de ces mesures s'effectue parfois de façon très différente selon l'emplacement sur le territoire français. Ainsi :

Ainsi pour faire face au même virus, les autorités préfectorales doivent aménager les dispositifs légaux en fonction du territoire dont elles ont la charge.

La plupart des autorités communiquent à ce sujet en indiquant l'évolution du virus dans le département mais ne précisent pas nécessairement ce qui motive le choix de tel ou tel quartier et de telle ou telle tranche horaire pour le port du masque.

Des cartes, parfois interactives, peuvent être mises à disposition pour vérifier précisément à quel endroit le port du masque est réellement obligatoire : [Carte de Paris] [Geomel]

En bref

  • La loi du 11 octobre 2010 interdit de dissimuler son visage dans l’espace public, mais l’article 2 de cette loi prévoit des exceptions à cette interdiction. 
  • Or, le décret du 10 juillet 2020 fait partie de ces exceptions et prescrit donc le port du masque de protection de façon légitime. Ainsi, l’internaute ne peut invoquer le fait que ce décret irait à l’encontre de cette loi puisqu’il s’inscrit au contraire dans son prolongement. 

Pour en savoir plus...

La hiérarchie des normes : un des fondements du droit 

Toutefois, ce Quissacois a évoqué le respect de la «pyramide des normes» (également appelée «hiérarchie des normes») pour dénoncer le décret du 10 juillet 2020. De quelles pierres cette pyramide est-elle faite ?

La hiérarchie des normes est un principe juridique théorique. Elle stipule que les différents niveaux du droit obéissent à un ordre strict dans lequel chaque élément de l’étage (ou bloc) n’est légitime que s’il obéit aux principes de l’étage supérieur. Pensé comme l’un des fondements de l’État de droit, le respect de la hiérarchie des normes est une protection vis-à-vis des décisions arbitraires que pourraient prendre les autorités publiques.

Ainsi, lors de la publication d’un décret, l'exécutif (le président de la République et le Premier ministre la plupart du temps) est contraint par les lois existantes. Et ces mêmes lois sont soumises à la Constitution.

La hierarchie des normes d apres le site vie-publique.fr

À titre d'illustration, voici un schéma de la hiérarchie des normes appliquée à l'exemple français et issu du site vie-publique.fr.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et fausse

Première apparition sur le web

Non renseigné

Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Facebook
Actions entreprises par les journalistes

[ ] Retrouver cette vidéo et identifier le point problématique principal, ainsi que les autres doutes juridiques [ ] Contacter un.e avocat.e pour comprendre ce qu'il en est, consulter les textes de loi et les décrets dont il est question

Pistes et conclusions

L'article 2 de la 2010-1192 du 11 octobre 2010 donne les conditions d'application de la loi sur l'interdiction de masquer son visage dans l'epace public. Cet article précise notamment que : «L'interdiction prévue à l'article 1er ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.»

Or, le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé et modifié par le décret n° 2020-884 du 17 juillet 2020 prévoit que doivent porter un masque de protection :

  • Le personnel des établissements ;
  • Les personnes accueillies de onze ans ou plus lors de leurs déplacements au sein de l'établissement. Dans les commerces et débits ( Restaurants et débits de boissons ; Etablissements flottants pour leur activité de restauration et de débit de boissons ; Restaurants d'altitude. ), les commerces touristiques (Les auberges collectives ; Les résidences de tourisme ; Les villages résidentiels de tourisme ; Les villages de vacances et maisons familiales de vacances ; Les terrains de camping et de caravanage), dans les établissements sportifs (sauf pour la pratique de l'activité sportive, toutes ne sont pas autorisées), les lieux de culte Pour l'instant donc le décret prescrit le port du masque dans un certain nombre de conditions.

Si cette prescription est législative ou réglementaire, alors l'article 2 de la loi L'article 2 de la 2010-1192 du 11 octobre 2010 n'impose pas à la personne d'afficher son visage sans masque.

  • Les propos de l'auteur de la vidéo sont donc faux pour ce qui concerne le conflit qu'il y aurait entre le décret et la loi si la vérification faite confirme bien ces éléments.
  • La hiérarchie des normes n'est même pas à invoquer.
Equipe Journalistes Solidaires

Cypriane El-Chami

Jérôme Mégie

© Journalistes Solidaires

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