Masques : 170 millions d'euros de profit pour la grande distribution ?
Dernière édition le 11 octobre 2020 à 4:44 - Relecture par Floréane Marinier , correction par Claire Guérou , coordonné par Geoffrey Gavalda

C'est faux
En bref
Maxime Cochard, conseiller municipal de Paris, affirme que la grande distribution a engrangé «un profit de plus de 170 millions d'euros» sur la vente de masques depuis mai. Sauf que l'élu confond profit et chiffre d'affaires.
Le 17 août, Maxime Cochard, conseiller de Paris pour le Parti communiste français, publie sur Twitter un extrait de son intervention du 16 août sur le plateau de la chaîne d’information en continu LCI. Il y critique la décision du gouvernement d’étendre l’obligation du port du masque, tout en refusant de rendre ce dernier gratuit pour les Français. Son tweet est partagé plus de 400 fois et rassemble près de 770 likes.
Selon lui :
«La grande distribution engrange plus de 170 millions d’euros de profit depuis mai sur les masques.»
Il met ainsi en parallèle les Français qui continuent d’acheter toujours plus de masques et les entreprises de la grande distribution qui, d'après lui, s’enrichiraient grâce à ces ventes.
Une confusion entre chiffre d'affaires et profit
Journalistes Solidaires (JS) a contacté Maxime Cochard afin d’en savoir plus sur cette donnée, sur sa provenance et sa cohérence. Sans nouvelles de sa part et après quelques recherches,** JS est parvenu à trouver l’origine** de ce montant de 170 millions d’euros.
L’entreprise derrière ce chiffre est la société Nielsen, spécialisée dans l'analyse de données sur la consommation. Le 17 juillet, Nielsen publie un tweet dans lequel elle affirme que :
«Les #masques #COVID__19 ont généré un chiffre d'affaires de 175 millions d'euros dans la grande distribution.»
Ce nombre est similaire à celui de Maxime Cochard mais est, ici, assimilé à un chiffre d’affaires et non à un profit. D’ailleurs, lorsqu’il partage sur Twitter l’extrait de son passage sur LCI, Maxime Cochard parle bien de «chiffre d’affaires» mais ne fait pas référence à son erreur sur le plateau.
Faire la différence entre chiffre d’affaires et profit est pourtant primordial pour éviter toute mauvaise interprétation. Selon l’Insee, le chiffre d’affaires représente «le montant des affaires (hors taxes) réalisées par une unité statistique (entreprise, unité légale) avec les tiers dans l'exercice de son activité professionnelle normale et courante. Il correspond à la somme des ventes de marchandises, de produits fabriqués, des prestations de services et des produits des activités annexes.» Dans ce cadre-ci, la vente de masques uniquement.
Selon le dictionnaire Larousse, le profit, quant à lui, représente «le gain réalisé sur une opération ou dans l'exercice d'une activité», c’est-à-dire, dans ce cas précis,** la marge entre le prix d’achat des masques aux fabricants et le prix de revente par la grande distribution**. Le profit est encore à distinguer du bénéfice qui implique de déduire l’ensemble des coûts de fonctionnement : main d'œuvre salariale, investissements matériels, transports, etc.
Le profit, une donnée pas encore disponible
Journalistes Solidaires a joint la société Nielsen afin de savoir de quel type de masque leur tweet parle et quel est le périmètre circuit, soit le type d’établissement concerné lorsque l’on parle de grande distribution. Ces délimitations sont nécessaires pour la suite des calculs et vérifier le montant global avancé par Maxime Cochard.
Le 21 septembre, Sébastien Monard, directeur marketing et communication de Nielsen, met à jour ce chiffre pour JS :
«Nous suivons les ventes de masques chirurgicaux et en tissu lavable (chiffre d'affaires) et non les profits, pour lesquels nous n'avons pas d'informations ; ce chiffre, actualisé récemment, atteint désormais 343 millions d'euros.»
Pour ce qui est du périmètre circuit, l’idée est assez claire : sont concernés par cette étude tous les hypermarchés, supermarchés, drives et magasins de proximité, toutes enseignes confondues. Ce qui exclut ainsi les supérettes indépendantes sans franchise, les épiceries de nuit mais également la vente en ligne de masques non homologués.
Un prix encadré pour les masques à usage unique
Jusqu’au 10 juillet, le prix de vente par la grande distribution des masques de type chirurgical était régi par un décret publié le 3 mai 2020 au Journal officiel. Le texte dispose que le prix de ces masques à usage unique «ne peut excéder 95 centimes d'euros toutes taxes comprises par unité, quel que soit le mode de distribution, y compris en cas de vente en ligne». Pour ce qui est de la vente en gros, destinée à la revente, le prix «ne peut excéder 80 centimes d'euros hors taxes par unité». Ce décret, d’abord valable du 2 mai au 23 mai, a été prolongé pour rester en vigueur jusqu’au 10 juillet. Le prix de vente des masques chirurgicaux a donc été encadré du 2 mai au 10 juillet.
Pour obtenir le profit réalisé sur la vente de masques, il serait nécessaire d’obtenir le prix d’achat des masques négocié par chaque enseigne auprès des fabricants, puis le prix de vente qui s’y pratique et tout cela pour chaque type de masque. Le profit de la grande distribution résulterait de la différence entre ces deux nombres.
En bref
Dans son intervention sur LCI, Maxime Cochard confond deux termes aux sens totalement différents : le chiffre d’affaires et le profit.
Le chiffre qu’il communique à l’époque, 170 millions d’euros, est semblable à celui communiqué par Nielsen, mais correspond au chiffre d’affaires enregistré par la grande distribution sur la vente des masques. Il atteignait 343 millions d’euros au 21 septembre.
Le montant des profits engendrés par la grande distribution sur ces ventes de masques est inconnu. Mais un décret du 2 mai a encadré pendant près d’un mois et demi leur prix de vente pour éviter la spéculation. Cette mesure a donc eu pour effet de limiter le chiffre d'affaires de la grande distribution, qu'une augmentation des prix proportionnelle à la demande aurait pu décupler.
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et fausse
Première apparition sur le web
Non renseigné
Dernière modification de la fiche de l'enquête
15 novembre 2021 à 19:48
Lieu de publication constaté
Actions entreprises par les journalistes
27 août : origine du chiffre retrouvée: chiffre avancé par la société Nielsen qui analyse les données relatives à la consommation. Le 17 juillet 2020, Nielsen publie un tweet dans lequel, elle affirme que la vente de masques a généré, depuis le 4 mai 2020, un CHIFFRE D'AFFAIRE de 175 millions d'euros pour la grande distribution (cela inclut les hypermarchés, les supermarchés, les drives et les magasins de proximité). Or, Maxime Cochard parle de profit.
Donc confusion réalisée par l'élu entre chiffre d'affaire et profit. Définir ces deux termes à l'aide des définitions officielles dans le Larousse ou sur le site de l'Insee
2 septembre: contact de Nielsen pour en savoir plus sur le chiffre publié sur twitter en juillet 2020
21 septembre : relance auprès de Nielsen pour plus de précisions : confirmation du chiffre d'affaire de 343 millions d'euros à ce jour, type de masques comptant dans l'étude, circuits de distribution concernés
Pistes et conclusions
L'auteur de ces déclaration semble confondre les termes « profit » et « chiffre d'affaire » : lors de son passage en direct sur LCI, il évoque bien le terme « profit », mais dans son tweet de partage de cet extrait, il utilise alors le terme « chiffre d'affaire ».
Il y a d'abord une question de sémantique sur le mot "grande distribution" et savoir de quels masques il s'agir exactement pour bien définir le chiffre que l'on cherche à vérifier.
Après quelques recherches, il se trouve que ce chiffre de 175 millions d'euros a été publié dans une étude réalisée par l'entreprise Nielsen, spécialisée dans l'analyse de données sur la consommation.
Contacté par nos soins, l'entreprise Nielsen, nous confirme ce chiffre, mis à jour à 343 millions d'euros le 21 septembre. Ce chiffre d'affaire enregistré par la grande distribution porte sur la vente de masques jetables et en tissu. Les circuits étudiées sont les hypermarchés, supermarchés, drives, magasins de proximité (supérettes), toutes enseignes confondues.
Le décret du 2 mai fixait bien un plafond au prix de vente uniquement des masques de type chirurgical à usage unique, à 95 centimes l'unité, ou 80 centimes l'unité pour ceux destinés à la revente. Ce décret est resté en vigueur jusqu'au 10 juillet.