Naomi Campbell appartient-elle à un réseau pédocriminel ?
Dernière édition le 27 juin 2020 à 3:11 - Relecture par Anne Smadja , correction par Anne Smadja , coordonné par Denis Verloes

C'est essentiellement faux
En bref
Le 31 mai dernier, le compte Twitter La plume libre prétend qu'un document dévoilant un réseau pédocriminel mondial aurait été publié récemment par les Anonymous. Mis au jour en réalité depuis des années, il n'est pas un élément incriminant à lui seul.
Sur Twitter, plusieurs documents et tweets ont été publiés à la fin du mois de mai 2020, mettant en cause un réseau pédocriminel mondial. C’est notamment le cas du compte YourAnonCentral, semblant appartenir au réseau de hackers Anonymous. Dans ses tweets, YourAnonCentral prétend révéler de nouveaux documents, qui auraient appartenu à l’homme d’affaires américain Jeffrey Epstein.
Pour rappel, le multimillionnaire a été condamné pour **trafic sexuel **de mineurs en juillet 2019. Un mois plus tard, Jeffrey Epstein se serait suicidé dans sa cellule au Metropolitan Correctional Center, à New York, le 10 août 2019.
Mais en 2015, les journalistes de Gawker avaient déjà publié le document cité, un répertoire surnommé «little black book». En réalité, la date de création de ce répertoire pourrait remonter à bien plus loin. Selon les révélations du New York Times, une procédure judiciaire avait été lancée en 2005 lorsqu'un employé de Jeffrey Epstein avait tenté de le vendre auprès d'avocats engagés contre le multimillionnaire.
Aujourd’hui, le document continue d’être mis à jour avec, à chaque fois, de nouvelles personnalités citées. Dans le tweet initial publié le 31 mai 2020 par YourAnonCentral, c’est par exemple la mannequin internationale Naomi Campbell qui est pointée du doigt.
Au fil des années, de nombreuses célébrités y sont passées, du prince Andrew d’Angleterre à l'ancien président étasunien Bill Clinton, jusqu’à la princesse Diana. Selon les rumeurs, la mort de cette dernière aurait même été commanditée à cause de sa connaissance des victimes des actes de Jeffrey Epstein dans l’entourage du prince Charles. Une autre rumeur indique qu’elle aurait été proche de l’homme d’affaires.** Mais ici, il ne peut s’agir que de rumeurs.**
«The little black book», répertoire de Jeffrey Epstein ?
Ce** «petit livre noir», était tenu par Jeffrey Epstein, mais surtout par son ex-femme et employée, Ghislaine Maxwell.** On y retrouve une liste impressionnante de contacts du monde entier, mais pas seulement. Selon Le Monde, le carnet d’adresses d’Epstein contiendrait plus d’une cinquantaine de noms de femmes, dont des mineures.
En 2019, Samuel Laurent de la cellule de fact checking Les Décodeurs du Monde, s’était déjà intéressé aux noms de personnalités françaises apparaissant dans ce répertoire. C’est notamment** le cas de Jean-Paul Mulot,** ancien directeur délégué du Figaro. À l'époque, ce dernier avait déclaré ne posséder **aucun lien **avec un quelconque réseau pédocriminel et n’avoir rencontré qu’une fois Jeffrey Epstein, lors d’un dîner à l'occasion de l'un de ses nombreux passages en France.
Figurer dans ce répertoire ne signifie pas forcément être coupable de participation à un trafic d’enfants. La présence du nom de Naomi Campbell dans cette liste pourrait s'expliquer de cette manière. De 1998 à 2003, la mannequin internationale a été fiancée à Flavio Briatore, richissime homme d’affaires italien et ancien directeur de l’écurie Benetton. Il était très proche d’Epstein et il est tout à fait crédible que Naomi Campbell ait pu rencontrer le multimillionnaire étasunien dans ce contexte.
Naomi Campbell was publicly pictured with #Epstein's pimp Maxwell Ghsitline and U.S. President Donald Trump on multiple occasions throughout the years, often inviting both to personal parties and events. #OpDeathEaters pic.twitter.com/wUNnyn2RRh
— OpDeathEaters (@OpDeathEaters) August 19, 2019
Le tweet ci-dessus va plus loin :** il souligne le lien de la mannequin avec Jeffrey Epstein**, et mentionne qu'elle appartiendrait à d'autres cercles d'hommes condamnés pour des faits similaires. «Ce qui est drôle avec Naomi, c'est qu'elle était non seulement liée au cercle restreint d'Epstein, mais aussi au trafiquant d'enfants Jean-Luc Brunel et au violeur d'enfants John Casablancas (un autre partenaire de Trump et agent de mannequin de la jeune Ivanka Trump)», peut-on y lire.
Des liens avec la France
Si le premier figure bien dans le répertoire de Jeffrey Epstein, ce n'est pas le cas du second. Alors qui est cet homme au prétendu lien avec Naomi Campbell ? Jean-Luc Brunel, proche d'Epstein, est un ancien agent français de mannequins. En octobre 2019, il a été mis en cause par dix femmes pour viol et harcèlement sexuel. Dans cette affaire de trafic sexuel sur mineurs, il est certainement **le témoin le plus proche de Jeffrey Epstein **et une enquête a déjà été ouverte sur son implication.
Néanmoins, une nouvelle fois, cela ne dit rien sur la nature du lien avec Naomi Campbell. S'ils apparaissent côte à côte sur des photos à l'occasion de festivités, ce ne sont pas des preuves **d'une réelle implication. **
«La question est de savoir s’il y avait un prédateur sexuel d’adolescentes avec une complice principale et une dizaine d’amis, ou un complot généralisé des États-Unis, avec protection des puissants, de la justice, de la police et l’implication de deux présidents. [...] Cette affaire dépasse le fait divers épouvantable par ce qu’elle révèle des États-Unis, **de ses fantasmes et de ses dysfonctionnements réels, de ses valeurs et de son comportement. **En pleine ère Trump, beaucoup veulent y voir la confirmation d’une société corrompue et décadente», expliquait le correspondant du Monde à New York, Arnaud Leparmentier.
En France, les secrétaires d’État **Marlène Schiappa **(Égalité femmes-hommes) et Adrien Taquet (Protection de l’enfance) avaient demandé, en août 2019, l’ouverture d’une enquête sur le sol français. «L'enquête américaine a mis en lumière des liens avec la France. Il nous semble ainsi fondamental, pour les victimes, qu'une enquête soit ouverte en France afin que toute la lumière soit faite», indiquaient les deux membres du gouvernement dans un communiqué. Pour autant, **cela n’implique pas **que l'entièreté du réseau de Jeffrey Epstein soit lié à du trafic d’enfants.
Que signifie «OpDeathEaters» ?
Le tweet est également accompagné d’un hashtag : #OpDeathEaters. Il serait la contraction d'Operation Death Eaters, c’est-à-dire «Opération Mangeurs de mort». Le compte Twitter OpDeathEaters a rejoint le réseau social en 2014 et ferait partie des opérations d’Anonymous. Il affiche l'objectif de créer «un tribunal indépendant et international des victimes de l'industrie pédosadiste».
D’après eux, Anonymous dévoilerait certains noms de ce petit livre noir afin de rendre justice à George Floyd et aux nombreux décès liés aux violences policières. Or, comme nous l’avons précisé plus haut, toutes les informations contenues dans cette fuite ne sont pas nouvelles : ce n'est pas la première fois qu'un «petit livre noir» est rendu public.
Le retour d’Anonymous ?
Anonymous fait-il son grand retour ? Six ans après la mort de Michael Brown, un Afro-Américain de 18 ans abattu par un policier blanc à Ferguson (Missouri), le groupe d’activistes a refait son apparition dans une vidéo. Vendredi 29 mai 2020, un compte Facebook revendiquant son appartenance au mouvement Anonymous a publié une vidéo de quatre minutes où une personne, cachée sous ce masque de Guy Fawkes devenu célèbre, s’adresse à la police de Minneapolis (Minnesota).
Après le décès de George Floyd le 25 mai 2020 dans la même ville, le collectif, anonyme et informel, a menacé «d’exposer les crimes de la police au monde». Au lendemain de la parution de cette vidéo, le site Internet de la police de Minneapolis aurait cessé de fonctionner. **Leur radio aurait également été piratée. **Un morceau du groupe de rap américain N.W.A,_ Fuck the police_, a été diffusé sur les ondes pendant la journée. Pas de revendication visible cependant de la part d’Anonymous. Les informations concernant le retour du collectif **ne sont d’ailleurs toujours pas attestées. **
Dans un tweet, l'anthropologue québécoise Gabriella “Biella” Coleman (auteure de deux livres sur les hackers) indique que la vidéo **ne proviendrait pas d’un canal **appartenant à Anonymous.
En bref
Les prétendues nouvelles révélations d’Anonymous ne sont pas récentes. Les personnes mises en cause dans le réseau de Jeffrey Epstein peuvent avoir rencontré l’homme d’affaires sans avoir été impliquées dans un réseau pédophile. Ce «little black book» est avant tout un répertoire professionnel. Aucune nouvelle révélation ne vient mettre en accusation Naomi Campbell.
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et essentiellement fausse
Première apparition sur le web
31 May 2020
Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Non renseigné
Actions entreprises par les journalistes
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Le document ? "The little black book" de Jeffrey Epstein, indiquant un nouveau réseau de pédophilie. Mais ce document n'en est pas à sa première parution et il a déjà été prouvé que tous les contacts inscrits ne sont pas forcément à inculper.
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Le document scrib partagé est daté du mois de mai 2020. Mais nous nous procurons un autre lien indiquant la date suivante : 27 février 2015. Est ce qu'il n'existerait pas d'ailleurs une version encore antérieure?
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La manoeuvre est également liée au #OpDeathEaters. Nous allons chercher à comprendre d'où cet hashtag vient.
Pistes et conclusions
- En résumé, un compte a ressorti un lien de 2015 sur des contacts déjà analysés.
- Le compte Twitter OpDeathEaters a rejoint le réseau social en 2014. Le #OpDeathEaters est devenu viral depuis le retour d'Anonymous à la suite d'un énième décès après une arrestation aux Etats-Unis.
- OpDeathEaters ferait partie des opérations d'Anonymous. Selon le compte Twitter, l'objectif est de créer un tribunal indépendant et international des victimes de l'industrie pédosadiste.