Le flux instinctif libre, une méthode pour se passer des protections menstruelles, ne fait pas consensus. / Photo : Rupi Kaur

Peut-on contrôler ses règles par la méthode du flux instinctif libre ?

Dernière édition le 5 octobre 2020 à 21:51 - Relecture par Lina Fourneau , correction par Claire Guérou , coordonné par Denis Verloes

C'est à nuancer

En bref

Sur Twitter, une internaute se demande si la méthode du flux instinctif libre est un mythe. Est-il possible de retenir le sang de ses règles et de le laisser couler quand on le souhaite ?

_«Les filles qui arrivent à faire la méthode du flux instinctif (faire couler leurs règles qu’une fois sur des toilettes) je vous vois comme des déesses de la nature [...] limite je pense que c’est un mythe.» _

Dans ce tweet de @madamebretzel, retweeté plus de 13 000 fois et aimé plus de 56 800 fois, est évoquée la méthode du flux instinctif libre (ou free-flow instinct en anglais). Cette pratique permettrait de se passer de toute protection hygiénique et de retenir le flux de sang pendant les menstruations, en contractant son périnée. 

Image d'un tweet admiratif envers les femmes pratiquant le flux instinctif.

Un tweet d'une internaute qui évoque les femmes pratiquant le flux instinctif.

Comment ça marche ?

Tout d'abord, la pratique du flux instinctif libre nécessite d'avoir un périnée suffisamment musclé pour pouvoir le contracter le temps de se rendre aux cabinets. Pour ce faire, un entraînement**_ **est parfois nécessaire auprès de professionnels de santé (kinésithérapeutes ou sages-femmes) pour tonifier son périnée. Interrogée par Journalistes Solidaires, la gynécologue-obstétricienne Odile Bagot prévient : «Il faut de l’exercice régulier, quasi quotidien, c’est de l’entraînement finalement.»_

Mais en quoi consiste cet «entraînement» ? Lydia Vasquez, formatrice à «l’œuf de yoni»1 et à la «continence menstruelle», dit pratiquer le flux instinctif libre depuis une quinzaine d'années. Pour elle, au-delà de l'entraînement, il s'agit d'un ressenti :

«_Quand on pratique le flux libre, on ne retient pas le sang pendant longtemps. Le but n’est pas de le garder quatre heures sans l’évacuer, mais d’être à l’écoute des ressentis : quand on sent qu’il faut qu’on aille aux toilettes (comme quand on a envie d’uriner) et y aller à ce moment-là pour évacuer.» _

Si l'écoulement du sang menstruel n'est pas continu et se réduit au fil des jours, cela implique tout de même d'avoir un accès à des toilettes et d'être disponible pour y aller régulièrement. 

Pour bien comprendre, l'équipe de Journalistes Solidaires est également allée écouter celles qui ont fait ce choix au cours de leur vie. Claire, vidéaste sur la chaîne Youtube "Bicar&co", a pratiqué le flux instinctif libre auparavant. Elle explique que la maîtrise de cette méthode dépend du cycle menstruel, du rythme de vie, de l'abondance du flux et du périnée. De son côté, la vidéaste a réussi à appréhender la méthode en _«deux ou trois cycles». _

Elle raconte :

«On est plus attentive et on se rend compte qu’il y a des signes avant-coureurs. La nuit, ça me réveille, comme une envie de faire pipi. Plus on pratique [le flux instictif libre], plus c’est facile de reconnaître ces signes-là. Certaines personnes vont avoir un peu mal au ventre, moi c’était une sensation particulière : ce n'est pas une gêne, mais je savais qu’il fallait que j'aille** **aux toilettes.»

Le fonctionnement des règles

Les règles (ou menstruations) sont la première partie du cycle menstruel et durent en moyenne cinq jours. Elles proviennent de la destruction de l'endomètre, muqueuse interne de l'utérus censée permettre la nidification de l'ovule fécondé. L'endomètre est alors évacué par le col de l'utérus, puis descend le long du canal vaginal sous forme de saignements. Le volume de sang perdu est en moyenne de 40 à 50 mL, soit l'équivalent de deux à trois cuillères à soupe. Le flux ne s'écoule pas en continu mais généralement par petites gouttes. 

Une méthode contestée

Le flux instinctif libre est donc une méthode utilisée par certaines femmes pour empêcher le sang de s’écouler du vagin ; néanmoins, elle est loin de faire l’unanimité chez les gynécologues et il n'existe pas d'étude scientifique sur le sujet.

C'est le cas de la docteure Brigitte**_ _**Letombe, gynécologue de profession, qui émet des réserves quant à la faisabilité de cette méthode : «Cela n’a rien d’«instinctif» ni de «libre» d’avoir le périnée contracté à longueur de journée. Les femmes qui y arrivent sont rarissimes et cette méthode ne fonctionne pas en cas de toux, d’éternuements...» Des propos corroborés par la docteure Odile Bagot, gynécologue et auteure : «Il n’y a pas énormément de femmes qui ont un bon contrôle de leur périnée. Oui, certaines sont capables de le faire. Mais d’autres non. Ce n’est pas du tout un problème, mais cette pratique n’est pas accessible à tout le monde.»

Elle étaie : «Une femme qui a un flux abondant ne peut pas pratiquer le flux instinctif. Tout le monde n’a pas les mêmes règles. Surtout celles qui ont un stérilet en cuivre.» La pose du stérilet induit en effet généralement la production d'un flux sanguin plus abondant. «Il faut aller quand même souvent aux toilettes, poursuit la gynécologue. C’est bien pour les femmes sous pilule et qui ont des petites règles. Mais pas pour celles qui ne contrôlent pas leur périnée par exemple, comme celles qui viennent d'accoucher, ou qui ont eu plusieurs enfants.»

Finalement, chacune doit envisager de pratiquer ou non le flux instinctif selon son rythme de vie personnel. Dans le cas de Claire, la blogueuse zéro déchet, mentionnée plus tôt, cette dernière avait fait le choix du flux instinctif libre quand elle travaillait encore depuis chez elle, dans un cadre de vie assez calme. Elle explique avoir arrêté depuis, quand son travail et sa vie de famille ont évolué : «Le but est de vivre ses règles de la manière la plus agréable possible. Il n’y a pas de normes à suivre. J’ai préféré arrêter parce que ça ne correspondait plus trop à mon rythme de vie.»

Au-delà de la mécanique corporelle requise par la méthode du flux instinctif libre, les deux gynécologues mettent aussi en garde contre les répercussions psychologiques que la promotion du flux instinctif libre peut avoir. «C’est stigmatisant et aliénant pour les femmes qui n’arrivent pas à le pratiquer. Cela signifie qu’il faut cacher les menstruations parce qu’elles sont taboues. Ça rend les choses encore plus difficiles à vivre !», considère la docteure Letombe. Selon la gynécologue, le problème est pris à l’envers : «Rendons les protections hygiéniques plus efficaces et plus saines avant tout. Il faut arrêter de faire la promotion de ce genre de pratiques pouvant devenir discriminantes pour celles qui n'y arrivent pas

Moins sceptique, la docteure Bagot insiste tout de même sur la culpabilisation que le discours militant et promotionnel du flux instinctif libre peut causer chez les jeunes femmes : «Qu'elles expérimentent et choisissent ensuite !»

En bref

La méthode du flux instinctif libre existe, elle est pratiquée par certaines femmes qui retiennent leur sang grâce à une contraction périnéale pendant leurs règles.

Cependant, cette méthode ne peut pas être appliquée à l’intégralité des personnes ayant leurs règles, à cause des caractéristiques physiologiques de chacune. Selon la docteure Bagot et les pratiquantes interrogées, il n'y a pas de contre-indication au fait d'essayer**_ _**pour voir si cela fonctionne ou non.

Par ailleurs, faute d'étude scientifique sur le sujet, il n'est pas encore possible de dire avec certitude si la méthode est fiable ou non, ni si elle comporte des inconvénients sanitaires.

1- Un œuf de yoni est une pierre polie en forme d'œuf à glisser à l'intérieur du vagin. Il est utilisé en général pour la rééducation du périnée. Cette méthode comporte cependant des risques d'infection ou de déséquilibre de la flore vaginale.

Fiche Enquête

La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.

Information

Vérifiée et à nuancer

Première apparition sur le web

Non renseigné

Dernière modification de la fiche de l'enquête
4 mai 2021 à 16:52
Lieu de publication constaté
Twitter
Actions entreprises par les journalistes
  • se renseigner sur ce qu'est le flux instinctif libre
  • récolter les témoignages
  • faire vérifier les dires par un professionnel de santé
  • Contact du SYNGOF et du CNGOF (Syndicat et Collège National et Gynécologues Obstétriciens de France)
  • Contact de Jessica Spina, naturopathe ayant écrit un livre sur le Flux Instinctif Libre
  • Contact du collectif "Les Flux", qui organise des ateliers d'auto-examen gynécologique et a déjà écrit sur le FIL. Interview vidéo menée le 23 juillet 2020.
  • Contact de la vidéaste et écrivaine Taous Merakchi (alias Jack Parker) qui a déjà écrit sur la question sur son blog "Passion menstrues".
  • Contact de Mélissa Carlier, kinésithérapeute spécialisée dans la rééducation périnéale qui pratique aussi le flux instinctif libre.
  • Interview de Mme Letombe, gynécologue de formation, au sujet du FIL
  • Interview de Lydia Vasquez, formatrice en "continence menstruelle" qui pratique et enseigne le flux instinctif libre.
  • Interview de Claire, animatrice de la chaîne Youtube sur le zéro déchet "Bicar & co", ancienne pratiquante du flux instinctif.
  • Prise de contact avec le service presse du centre Oscar Lambret de Lille, où travaille la gynécologue Delphine Hudry, qui s'est déjà exprimée sur la question.
  • Interview de la gynécologue-obstétricienne Odile Bagot.
Pistes et conclusions

Dans un post proposé par la twittos @madamebretzel, aussi connue sur instagram sous le nom de malviiinou, l'étudiante évoque une méthode dite "de flux instinctif" qui permettrait de contrôler la fréquence et l'abondance du flux menstruel en contractant le périnée. Cette assertion semble assez connue des personnes qui lui répondent via Twitter. Nous démarrons l'enquête: le principe du contrôle des menstruations par méthode de flux instinctif est-il réaliste? Interrogée en off une gynécologue émet de nombreuses réserves sur la véracité de cette méthode. Une seconde gynécologue interrogée confirme ces doutes. Une troisième gynécologue dit connaître la pratique mais ne la recommanderait pas à toutes les femmes réglées. Nous cherchons la littérature scientifique qui documenterait cette pratique. Nous ne la trouvons pas. Les praticiennes contactées nous disent effectivement ne pas en connaître. Une youtubeuse qui a pratiqué longtemps la méthode puis l'a abandonné nous explique les limites qu'elle a constaté à cette pratique Notre enquête se termine sur un "peut-être" assorti des recommandations des gynécologues à ne pas culpabiliser les femmes qui n'arriveraient pas à contracter leur périnée.

Equipe Journalistes Solidaires

Nelly Pailleux

Julien Cazenave

Floréane Marinier

© Journalistes Solidaires

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