Une «heure silencieuse» pour les personnes autistes à Carrefour ?
Dernière édition le 28 mai 2021 à 11:15 - Relecture par Cosima Mezidi Alem , correction par Cypriane El-Chami , coordonné par Tanguy Oudoire

C'est vrai
En bref
Dans l'Essonne, le magasin Carrefour d'Évry proposerait une «heure silencieuse» hebdomadaire pour les personnes autistes. À l'initiative d'une association, cette mesure existe déjà depuis 2018 dans les magasins U et fait l'objet d'un projet de loi.
Le 12 avril 2021, une utilisatrice de Twitter publie la photo (18 000 j’aime, près de 3 000 partages) d’une affiche prise supposément à l’entrée du supermarché Carrefour d’Évry, dans l'Essonne (91). Cette affiche informe la clientèle d’une «heure silencieuse», mise en place «tous les lundis de 14h à 15h», «pour toutes les personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique ainsi que pour tous [leurs] clients souhaitant réaliser leurs courses dans le calme». Elle consisterait à réduire «l’intensité sonore et lumineuse» dans les magasins. Journalistes Solidaires a cherché des précisions sur l’origine de ce dispositif et son développement éventuel.
Un partenariat entre Carrefour et Autisme France
Le 2 avril 2021, à l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, les sites de Carrefour et d’Autisme France ont publié un communiqué de presse. Ce dernier confirme que cette heure hebdomadaire est bien réelle : il s’agit d’un moment où, pendant une heure tous les lundis, «la luminosité dans le magasin est réduite, la musique, les annonces micro et radio sont coupées, et les appareils de nettoyage ne peuvent être utilisés». Dans son plan d’inclusion, Carrefour compte également mettre en place d’autres aménagements comme la facilité d’accès aux caisses et une nouvelle signalétique, plus adaptée à divers handicaps. Ce n’est donc pas le fait du seul Carrefour d’Évry : elle serait appliquée depuis le 5 avril 2021 dans 1 240 magasins, sur les 5 200 que compte l’enseigne.
Cette collaboration relève de l'initiative de l'enseigne : «Nous avons souhaité nous rapprocher d'associations pour comprendre comment mieux adapter le lieu aux personnes ayant des pathologies». À travers une interview accordée à Journalistes Solidaires, le service de presse de Carrefour explique en effet que «ce dispositif répond aux attentes des personnes sensibles, mais aussi aux clients voulant faire leurs courses dans le calme».
Hyper U précurseur : une petite association à l’origine du projet
Mais avant Carrefour, une autre chaîne de supermarchés était déjà sur le coup : les magasins U, notamment l’Hyper U de Vierzon, ceux de Mirepoix dans l’Ariège, et de Thourotte dans l’Oise. L’association à l’origine de cette heure silencieuse, «Espoir pour mon futur» (créée en 2015 par Christelle Berger), aide les jeunes avec des troubles du spectre autistique (TSA) «à acquérir un maximum d’autonomie», selon le site de l'Association de prévoyance santé (ADPS).
L’histoire commence en juin 2018. La présidente de l'association explique à Journalistes Solidaires qu'en discutant avec Isabelle Ouzet, directrice des ressources humaines de l’Hyper U de Vierzon, elle a proposé une heure calme pour les personnes avec TSA. Une idée inspirée par ce qui existe déjà en Australie, et motivée par les difficultés rencontrées avec sa fille Clémence, autiste, pour faire les courses.
«[Isabelle] a transmis l’idée à son directeur, qui a dit oui. J’ai ensuite rencontré les employés et leur ai montré une vidéo de The National Autistic Society, qui montre la perception sensorielle qu’ont les autistes de leur environnement, ainsi que des affiches qui expliquent l’hypo et l’hypersensibilité dont certains autistes souffrent», raconte Christelle Berger.
À la mi-novembre 2018, des tests sont effectués en magasin avec une diminution de la lumière et du bruit (arrêt de la musique, diminution des bips en caisse et plus d'appels au micro, machines au repos comme les transpalettes), et une heure est mise en place dès le mois de décembre.
«Pour Clémence, c’était une vraie souffrance. Parce que la lumière et les bruits forts sont agressifs pour ces personnes, mais plus largement pour des personnes atteintes d’un trouble du neurodéveloppement», explique Nadia Essayan, la députée du Cher, où se trouve Vierzon, qui s’intéresse très vite à l’initiative. «Quand elles ont expérimenté ça la première fois, elles en ont parlé sur les réseaux sociaux, je les ai félicitées car je trouvais ça intéressant [...] Elles m’ont soumis l’idée d’un projet de loi.»
L’expérience est concluante, à la fois pour les clients et les employés :
«Les employés ont joué le jeu, et ils sont ravis car c’est reposant aussi pour eux qui travaillent toute la journée dans cet environnement. Il y a eu également des retours positifs des clients comme par exemple d’une femme souffrant d’hyperacousie, raconte Christelle Berger. L’heure silencieuse est ouverte à tous, c’est important de le préciser», ajoute-t-elle.
Une heure par semaine pour faire ses courses, c’est peu, mais ce n’est qu’un début. Le PDG des magasins U, Dominique Schelcher, prend connaissance du sujet et va alors généraliser l’heure silencieuse et même la doubler, comme indiqué dans ce communiqué du 2 décembre 2019. L’Hyper U de Vierzon, quant à lui, propose maintenant trois créneaux à des horaires totalement différents : le lundi soir, le mardi après-midi et le dimanche matin.
Une avancée pour les personnes autistes
Journalistes Solidaires a recueilli le témoignage de deux personnes autistes Asperger, Ingrid et Axelle. Ingrid a 52 ans et vit en Belgique. L’heure silencieuse n’existe pas près de chez elle, et elle pense depuis un moment à la demander à la direction d'Intermarché. Pour elle, la vie ordinaire est «comme une boîte de nuit qu’il faudrait supporter pendant toute une journée». C’est pourquoi elle trouve l’initiative formidable, surtout pour apprendre aux enfants autistes à faire leurs courses dans un environnement adapté. Axelle, elle, s’est rendue à Carrefour pendant l’heure silencieuse et raconte avoir beaucoup apprécié. Il n’y avait pas beaucoup de monde, et le dispositif était bien celui décrit, très reposant d’après elle.
Christelle Berger a rapidement constaté les bienfaits du dispositif : «Pour Clémence, c’est un pas vers l’autonomie, comme pour tous les autistes qui pourront en bénéficier.» Et elle veut aller encore plus loin : sa fille ne sait pas lire, mais elle peut se repérer avec les images. «J’aimerais qu’un plan soit créé pour s’orienter dans les magasins.» Axelle, quant à elle, aimerait que l'on parle davantage de l’autisme pour que les gens apprennent à accepter les particularités. «Il devrait y avoir plus de sensibilisation, surtout sur le fait que beaucoup d'autistes ont un handicap invisible.» D'après Christelle Berger, Autisme France travaille actuellement sur la question des caisses prioritaires et des pictogrammes, dans le cadre de ce même plan d'inclusion.
Pourquoi les autistes ont-ils besoin de ces aménagements ?
D’après le site de l’Inserm, «les troubles du spectre de l'autisme (TSA) résultent d'anomalies du neurodéveloppement» dont font partie intégrante des «réactions sensorielles inhabituelles». Le site du Craif (Centre de ressources autisme Ile-de-France), explique que chez les personnes avec TSA :
«Les particularités de perception sensorielle vont toucher :
- Les 5 sens : la vision, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût,
- Le système vestibulaire, c’est-à-dire le sens de l’équilibre,
- Le système proprioceptif, c’est-à-dire la perception de son corps dans l’espace.»
En ce qui concerne les sens, l’hypersensibilité et l’hyposensibilité peuvent exister, et même coexister chez une même personne «selon le contexte, le jour, le niveau de stress, de fatigue….». Cela explique la nécessité d’adapter l’environnement pour les personnes autistes. Selon l’ouvrage Autisme et sensorialité de P. Bellusso, diffusé par le Cra Alsace :
«Les personnes avec TSA peuvent présenter des perturbations du traitement des informations sensorielles impactant considérablement la qualité de vie. [Elles] éprouvent fréquemment de la gêne, de la confusion, de la détresse voire des angoisses massives.»
Klara Kovarski, chercheuse à l’Hôpital fondation Adolphe de Rothschild, explique au magazine Usbek et Rica, que «les personnes autistes ont besoin de régularité, de routine, d’un environnement prévisible et maîtrisable». Selon elle, plus que l’intensité des stimuli sensoriels, c’est leur variation qui pose problème. «Par exemple, dans les magasins, l’environnement sonore et visuel est très riche (musique, haut-parleur, lumières…). De plus, les changements de disposition ou d’emplacement pourraient être difficiles à gérer pour des personnes qui présentent une résistance au changement.» Encore des pistes à creuser pour améliorer le projet de loi.
En juillet 2020, une équipe de Journalistes Solidaires s'est intéressée à l'origine de l'autisme, en enquêtant sur les propos d'une élue. Celle-ci affirmait qu'un enfant pourrait développer des troubles du spectre autistique à cause du port du masque par sa mère. Notre article est à lire ici : «Un bébé deviendrait autiste au contact de sa mère portant un masque».
Un projet de loi présenté par Nadia Essayan
Le 14 décembre 2020, Nadia Essayan dépose la proposition de loi du dispositif, visant «à améliorer l’accessibilité des personnes qui ont un trouble du spectre de l’autisme par la mise en place d’une heure silencieuse dans les magasins de la grande distribution».
La députée MoDem du Cher y propose d’instaurer cette heure au moins une fois par semaine dans l’ensemble des magasins de plus de 1 000 m². Les commerces doivent alors procéder à la réduction de l’intensité lumineuse, limiter les sons provenant des appareils électroniques et couper les annonces sonores. Après deux amendements, impliquant notamment un délai de concertation de 18 mois avec les acteurs concernés, le texte est adopté à l’unanimité le 28 janvier 2021.
Mais les enseignes n’ont pas attendu le vote de la loi pour instaurer cette mesure : «Ces heures silencieuses commencent à se mettre en place un peu partout en France, comme les magasins U, Carrefour il y a deux semaines [le 5 avril, ndlr] sur toute la France et même leurs enseignes de petite taille, il ne se sont pas arrêtés aux 1 000 m². Le Leclerc de Viry-Châtillon l’a également mise en place», explique la députée du Cher.
En bref
Un certain nombre de magasins Carrefour, en partenariat avec Autisme France, consacrent depuis le 5 avril 2021 une heure hebdomadaire aux personnes autistes en diminuant la luminosité et le bruit et en facilitant leur passage en caisse.
C'est une initiative née en décembre 2018 dans un Hyper U, puis généralisée à tous les magasins U le 2 novembre 2019. Cela s'est fait grâce à l'association Espoir pour mon futur, inspirée par un besoin essentiel des personnes autistes de moins de stimuli pour vivre sereinement leur quotidien.
Un projet de loi, déposé par la députée Nadia Essayan, est actuellement en discussion avec les politiques et les acteurs économiques pour adapter la mesure à d'autres handicaps.
Edit du 25/05 à midi : Correction du nom de la DRH de l'hyper U de Vierzon, Isabelle Ouzet et non «Ouzon». Edit du 28/05 à 11h : C'est Christelle Berger qui nous a informé qu'«Autisme France travaille actuellement sur la question des caisses prioritaires et des pictogrammes».
Fiche Enquête
La fiche ci-dessous résume le parcours et la méthodologie employés pendant notre enquête.
Information
Vérifiée et vraie
Première apparition sur le web
Non renseigné
Dernière modification de la fiche de l'enquête
25 mai 2021 à 10:23
Lieu de publication constaté
Actions entreprises par les journalistes
Nous contactons le service de presse de Carrefour pour authentifier l'opération. Nous contactons également le 16/04 l'association Autisme France, qui serait le partenaire de la grande surface sur cette opération. Nous recherchons si d'autres enseignes proposent également cette opération. Nous contactons Espoir pour mon futur par téléphone et Système U par mail. Nous contactons la députée Nadia Essayan. Nou recueillons également deux témoignages de personnes autistes.
Pistes et conclusions
Il s'agit d'une des mesures du plan d'inclusion, mené par Carrefour en partenariat avec Autisme France. Elle serait mise en place dans plus de 1 240 magasins de l'enseigne en France depuis le 5 avril. En France, les enseignes Super U proposent également ces créneaux "heure silencieuse" pour les personnes atteintes du trouble autistique, mais aussi pour les personnes âgées. Ils sont de deux heures par semaine au minimum dans tous les magasins U depuis le 2 décembre 2019. Au Royaume-Uni et en Australie, les supermarchés Tesco et Coles les ont généralisées depuis 2017.